Pourquoi Le Pen ne peut pas gagner et autres réflexions sur le premier tour

Macron s’est donc qualifié pour le second tour avec Le Pen et sera donc Président de la République dans quinze jours. En effet, même si l’on va essayer de vous faire peur, Le Pen n’a absolument aucune chance. Autant il y avait de l’incertitude pour le premier tour,  pour les raisons que j’avais expliquées dans les billets que j’ai publiés avant l’élection, autant l’issue du second ne fait aucun doute. À l’heure où j’écris ces lignes, d’après le Ministère de l’Intérieur (sur la base de 97% des inscrits), Macron est à 23.86%, Le Pen à 21.43%, Fillon à 19.94%, Mélenchon à 19.62%, Hamon à 6.35% et Dupont-Aignan à 4.73%. Ces résultats signifient très clairement que Le Pen n’a aucune chance, donc si son éventuelle victoire vous inquiète, vous pouvez vous calmer tout de suite. Les médias vont essayer de prétendre que rien n’est joué, mais c’est du cinéma, Macron gagnera facilement au second tour.

J’entends beaucoup de gens dire que, à cause du libéralisme de Macron sur l’économie, beaucoup d’électeurs de Mélenchon pourraient se reporter sur Le Pen au second tour, mais l’hypothèse d’une porosité entre l’électorat de Mélenchon et celui de Le Pen est un mythe. D’après un sondage Ipsos réalisé les 16 et 17 avril, lorsqu’on demande aux électeurs de Mélenchon qui n’étaient pas sûrs de voter pour lui quel serait leur second choix, 32% d’entre eux répondaient Hamon et 30% Macron, tandis que seulement 11% répondaient Le Pen. (J’utilise ce sondage plutôt que celui réalisé par le même institut les 19 et 20 avril parce qu’il avait un échantillon bien plus important, ce qui est crucial quand on s’intéresse à des sous-populations, comme c’est le cas ici.) C’est exactement la même chose pour les indécis parmi les électeurs de Hamon, dont 50% indiquaient Mélenchon comme second choix et 35% Macron, alors que seulement 1% répondaient Le Pen. Quant aux électeurs de Fillon qui disaient n’être pas sûrs de leur choix, seuls 21% indiquaient Le Pen comme second choix, contre 53% qui indiquaient Macron…

On pourrait éventuellement penser que les indécis ne sont pas représentatifs de ceux qui disaient être sûrs de leur choix, encore que je ne voie pas bien pourquoi ce serait le cas, mais l’analyse du vote des sondés en 2012 montre que ce n’est vraisemblablement pas le cas. Le sondage OpinionWay du 21 avril a en effet demandé aux personnes interrogées pour qui elles avaient voté en 2012. L’échantillon n’est que de 1500 personnes, donc les résultats pour des sous-populations ne sont sans doute pas très précis, mais ils sont toutefois suffisamment clair pour ne laisser aucun doute quant à la nature des reports de voix au second tour. En effet, d’après ce sondage, plus de 78% des gens qui disaient avoir l’intention de voter pour Mélenchon cette année avaient déjà voté pour lui en 2012 ou avaient voté pour Hollande, alors que moins de 3% avaient voté pour Le Pen. De plus, les électeurs de Mélenchon qui étaient sûrs de leur choix sont a priori idéologiquement plus engagés à gauche que les indécis, ce qui veut dire qu’ils sont probablement encore moins enclins à voter pour Le Pen, qui est l’épouvantail de la gauche depuis toujours. En revanche, les électeurs sûrs de voter pour Fillon auront probablement davantage tendance à voter Le Pen que les indécis, car ils sont sans doute plus solidement ancrés à droite. Mais il est toutefois complètement improbable qu’il y en ait plus qui votent pour Le Pen que pour Macron.

Ce que ces chiffres suggèrent, c’est que l’immense majorité des électeurs de Mélenchon qui iront voter au second tour voteront pour Macron, alors même que la plupart des électeurs de Fillon qui ne s’abstiendront pas feront la même chose. Or, même si 50% des électeurs de Fillon au premier tour votaient pour Le Pen au second et que 50% des électeurs de Mélenchon faisaient la même chose, ce qui est complètement invraisemblable, Macron gagnerait quand même. Pour qu’il perde, il faudrait non seulement qu’une majorité des électeurs de Fillon au premier tour votent pour Le Pen au second et que les électeurs de Mélenchon se distribuent à peu près équitablement entre Macron et Le Pen au second tour, mais également que l’abstention au second tour soit beaucoup plus forte chez les électeurs de gauche que chez les électeurs de droite. Il y a bien sûr d’autres combinaisons possibles qui verraient Le Pen gagner, mais elles sont encore plus improbables. Tout indique par conséquent que Macron battra facilement Le Pen au second tour.

Le résultat de cette analyse est d’ailleurs conforme à ce que disent les sondages réalisés juste après l’annonce des résultats du second tour, qui donnent Macron vainqueur avec 62% des voix contre 38% pour Le Pen d’après Ipsos et 64% contre 36% d’après Harris. Personnellement, je crois que Le Pen fera plutôt autour de 40%, parce que si elle n’est pas complètement débile, elle fera campagne dans l’entre-deux-tours sur les questions d’immigration et d’insécurité sur lesquelles elle peut récupérer des voix dans l’électorat de droite puisque Macron est vulnérable là-dessus. Si elle écoute Philippot, elle continuera à faire campagne sur les questions économiques et se prendra une branlée encore plus monumentale, parce que ça lui aliénera les électeurs de droite alors même que, de toute façon, les électeurs de gauche ne voteront pas pour elle parce que les histoires à dormir debout sur l’imminence du péril fasciste marchent toujours avec la plupart d’entre eux. Bref, quoi qu’il arrive, Macron sera Président de la République au soir du 7 mai. Par conséquent, si vous ne voulez pas voter pour lui, vous pouvez aller à la pêche, ça vous empêchera de faire une connerie.

J’en viens maintenant aux enseignements du premier tour, au-delà de ce qu’ils nous disent au sujet du résultat du second. Force est de constater que, en dépit des raisons de penser qu’ils aient trompeurs que j’avais identifiées avant l’élection, les sondages ont été remarquablement fiables cette année. Je crois même qu’ils n’ont probablement jamais été aussi précis, ce qui est plutôt étonnant, compte tenu des nombreuses sources d’incertitude qui pesaient sur l’élection cette année. La principale raison pour laquelle je pensais que Fillon avait de bonnes chances de se qualifier pour le second tour au détriment de Macron était que, par rapport aux dernières élections, le total des voix de droite était beaucoup trop faible, du moins si l’on supposait que moins de 45% des gens qui disaient avoir l’intention de voter pour Macron avaient voté pour la droite aux élections précédentes. J’en tirais la conclusion que les gens qui disaient n’être pas sûrs d’aller voter mais qui voteraient quand même devait pencher à droite.

À vrai dire, quand je fais des calculs sur la base des résultats du premier tour, je pense que mon analyse n’était pas loin du compte, à ceci près que j’avais sans doute sous-estimé la proportion des électeurs de Macron qui avaient voté pour la droite au premier tour des régionales de 2015. Je pensais que c’était dans une fourchette entre 33% et  45%, mais quand on regarde les résultats du premier tour, il semble que ça ait été plutôt entre 45% et 50%. Je pense que l’unique raison pour laquelle il a pu attirer autant d’électeurs de droite est que la campagne s’est très peu focalisé sur des sujets comme l’immigration et l’insécurité, ce qui est en partie la faute de Fillon et Le Pen, qui auraient dû aller sur ce terrain plus souvent. D’après les résultats département par département du Ministère de l’Intérieur, il semble également que l’abstention ait été légèrement plus forte dans les régions qui votent beaucoup à droite, alors qu’elle a été moins importante dans les régions plus favorables à Macron. Par exemple, dans la région PACA en 2012 où la droite fait traditionnellement ses meilleurs scores, l’abstention avait été 1,12 points en dessous de la moyenne nationale au premier tour, alors que cette année elle n’était que 0,55 point en dessous de la moyenne. Au contraire, dans la région Île-de-France qui est beaucoup plus favorable à la gauche, l’abstention cette année était 1,66 points au dessous de la moyenne nationale, alors qu’en 2012 elle était 1,32 points au dessus de la moyenne. Nous n’avons pas encore de chiffres sur l’abstention par catégorie socio-professionnelle, mais je pense que, quand ils seront rentrés, on verra que les catégories plus favorables à la droite ont moins participé que d’habitude.

Bref, j’avais sans doute raison que les gens qui disaient envisager l’abstention penchaient plutôt à droite, mais je n’avais pas suffisamment pris au sérieux la possibilité qu’un nombre important d’entre eux décident finalement de vraiment s’abstenir et j’ai également quelque peu sous-estimé la proportion des électeurs de Macron qui avaient voté pour la droite aux dernières élections. A priori, il s’agit des plus modérés des centristes qui avaient soutenu Juppé pendant les primaires de la droite, mais surtout des gens sans attaches idéologiques fortes qui changent facilement de camp d’une élection à l’autre. Les premiers étaient de toute façon perdus pour Fillon depuis le début, du moins après la propagande anti-Fillon de l’entre-deux-tours des primaires, mais les autres auraient sans doute pu voter pour lui et Le Pen. J’imagine qu’un grand nombre d’entre eux n’ont pas voté pour Fillon à cause des affaires. Il est vrai que Fillon avait commencé à baisser avant ça, mais il ne fait malgré tout aucun doute que ça lui a fait beaucoup de mal. En effet, quand on regarde l’historique des sondages, on voit qu’immédiatement après la parution de l’article du Canard enchaîné il avait perdu environ 5 points dans les sondages en moins d’une semaine… Même en supposant qu’il aurait quand même continué à baisser, ce qui est probable, ça aurait sans doute été plus que suffisant pour qu’il passe devant Macron, d’autant que ce dernier a semble-t-il été le principal bénéficiaire des pertes de Fillon.

Quand on met tout ça bout à bout, ça suffit largement à expliquer la défaite de Fillon, qui aurait normalement dû remporter cette élection facilement. Il serait en effet une erreur de considérer que la victoire de Macron est un triomphe. Au contraire, si l’on regarde de près les sondages, ils suggèrent plutôt que les gens ont voté pour lui par défaut. Par exemple, d’après le sondage BVA du 21 avril que j’ai déjà cité, quand on demande aux électeurs de Macron pourquoi ils ont l’intention de voter pour lui, seulement 39% citent ses propositions politiques alors que 26% disent que c’est un choix par défaut. Dans le cas de Fillon, en revanche, 58% des électeurs citent ses propositions politiques et seulement 5% disent que c’est un choix par défaut. Pour Le Pen, 64% citent ses propositions politiques, tandis que seulement 5% disent que c’est un choix par défaut. Bref, tout porte à croire qu’un nombre important d’électeurs de Macron ont voté pour lui par défaut, parce que les affaires de Fillon l’avaient disqualifié et que Hamon était trop à gauche. La victoire de Hamon aux primaires du parti socialiste, qui a ouvert un boulevard au centre pour Macron, l’a en effet sans doute beaucoup aidé. Ce que je m’explique beaucoup moins, c’est le score de Le Pen, qui est beaucoup plus bas que ce que j’avais imaginé. La seule explication que je vois est qu’elle a reproduit l’erreur de 2012, c’est-à-dire qu’elle a beaucoup trop parlé d’économie et pas assez d’immigration, d’insécurité, etc. Si elle veut encore progresser, il faut vraiment qu’elle comprenne qu’elle n’a plus rien à gagner en faisant de la surenchère gauchiste sur l’économie, surtout si elle fait peur aux gens avec la sortie de l’euro dont ils ne veulent pas.

Entre la campagne désastreuse de Hamon et les affaires de Fillon, que personne n’aurait pu imaginer il y a encore quelques semaines, Macron a eu une chance quasiment surnaturelle. Il a certes fait une bonne campagne, sans commettre d’impair majeur et évitant autant que possible de sortir de l’ambiguïté, ce qui l’aurait plombé, mais à peu près tout ce qui devait arriver pour qu’il gagne, même les choses les plus improbables, se sont effectivement produites. Avec un cul pareil, si j’étais lui, je vérifierais quand même ce que fais Brigitte de ses journées pendant qu’il est au boulot… Cela dit, je dois reconnaître que je m’étais quand même planté à son sujet, parce que je pensais vraiment qu’il se serait écroulé avant le premier tour. Il est vraiment incroyable qu’un candidat qui est libéral à la fois sur l’économie et les questions de société, ce qui en France équivaut normalement à un arrêt de mort politique, s’apprête à devenir Président. Il n’en reste pas moins que, autant Sarkozy avait vraiment remporté une victoire de conviction (probablement la seule depuis l’élection de Mitterrand en 1981), autant il me paraît clair que Macron va être élu par défaut et sur une série de malentendus. C’est notamment pour cette raison que je crois pas du tout à l’idée qu’il va pouvoir gouverner sur la base de compromis au dessus du clivage gauche/droite, comme lui et ceux de ses soutiens qui sont vraiment convaincus l’imaginent.

Compte tenu des résultats du premier tour, il n’est pas du tout évident qu’il parvienne à faire élire une majorité, d’autant qu’il n’y a pas de sortants parmi ses candidats. Il y a certes toujours une prime aux législatives pour le parti du candidat qui a remporté la présidentielle et je suis sûr que Macron en bénéficiera aussi, mais encore une fois c’est quand même beaucoup plus compliqué sans aucun sortant. Je crois que l’idée d’une victoire de la droite avec une cohabitation immédiate est un fantasme, mais l’hypothèse d’une Assemblée sans majorité claire avec plusieurs groupes importants me semble assez probable. Si c’est le cas, Macron aura beaucoup de mal à gouverner, car il devra s’appuyer sur des coalitions qui se feront et se déferont au gré des circonstances. Il n’aura certainement pas le soutien de la droite, qui n’a aucun intérêt à s’entendre avec lui et, au contraire, a tout intérêt à systématiquement faire de l’obstruction. Il est vrai qu’il y a sans doute des gens à droite qui seraient prêts à collaborer avec Macron de façon ponctuelle. Mais ils vont être complètement balayés dans les semaines qui viennent, parce que chez les Républicains, les militants ont viré à droite depuis longtemps, comme l’ont montré les primaires. Wauquiez sera Président du parti avant la fin de l’année et les députés républicains s’opposeront à Macron de façon systématique.

Il y en aura sans doute quelques uns qui passeront outre les consignes et s’entendront avec le gouvernement sur certains sujets, mais ils seront complètement marginalisés à droite, ce qui passera l’envie aux autres de les imiter. Honnêtement, si j’étais un leader des Républicains, je prierais pour que mon parti ne gagne pas les législatives, ce qui de toute façon est improbable à moins que Macron ne déconne complètement entre le 7 mai et le 11 juin, parce que ça ne profiterait qu’au FN. Avec une Assemblée sans majorité claire, les Républicains pourraient complètement plomber le quinquennat de Macron, ce dont ils ne se priveront évidemment pas. Les macronistes diront que c’est dégueulasse et qu’ils devraient penser à l’intérêt du pays, mais qu’ils aient raison ou pas, ça n’a aucune importance parce que les Républicains penseront à leur intérêt politique avant tout. Si Macron ne peut rien faire, même si c’est à cause des Républicains, ce n’est pas eux mais lui qui paiera la facture électorale. On a déjà connu quelque chose comme ça avec Mendès-France en 1954 et Rocard en 1988 et ça s’est toujours terminé par un désastre électoral. Macron n’est pas le premier qui croit pouvoir s’affranchir du clivage gauche/droite, mais la réalité revient toujours dans la gueule de ceux qui essaient de l’ignorer, surtout avec les institutions de la Vème. Les responsables des Républicains sont eut-être des connards, mais ils ne sont pas complètement suicidaires.

Le seul espoir de Macron, c’est qu’il parvienne à faire élire une majorité, mais même s’il y arrive, tout porte à croire qu’elle penchera à gauche. Ce n’est pas avec une majorité de sociaux-libéraux alliés avec quelques chiraquiens sur le retour qu’il va réussir à faire passer des réformes vraiment fondamentales. Quand on sait que c’est Delevoye qui dirige la commission d’investiture de son mouvement pour les législatives, il est difficile de croire que, si En Marche remportait une majorité absolue, il y aurait beaucoup de foudres de guerre sur les bancs de l’Assemblée pour voter ses réformes, qui soit dit en passant sont généralement assez floues. De toute façon, en dépit de ses dénégations, Macron sera probablement contraint de composer avec des socialistes repentis comme Valls et ses amis. Même au sein du groupe En Marche, il y aura sans doute une hétérogénéité idéologique et politique assez importante, qui ne se révélera vraiment qu’à l’exercice du pouvoir, ce qui compliquera aussi le passage de réformes d’envergure. Macron ne pourra donc vraisemblablement que faire quelques réformettes sociales-libérales et, après 5 ans à ce régime, la France finira sans doute plus à droite qu’une maison de retraite dans le Var.

La seule bonne nouvelle de cette élection, c’est que Hollande a probablement tué le PS. Ce n’est pas encore sûr, car les partis ont la peau plus dure qu’on ne l’imagine, mais je crois que cette fois une scission est vraiment probable. L’unique raison pour laquelle elle ne s’est pas produite plus tôt, c’est que même si ça fait longtemps que le parti est profondément divisé, personne ne voulait prendre le risque d’une scission qui aurait cassé la machine à gagner et remporter des postes. Dès lors que le parti ne gagne plus et que Mélenchon fait un score beaucoup plus élevé, les obstacles à une scission sont en grande partie levés. À mon avis, tout va dépendre du score que fait le PS aux législatives, car si le parti fait à peu près aussi bien que Hamon je ne vois pas comment il pourrait ne pas exploser. D’un autre coté, je ne suis pas sûr que le parti se plante autant que Hamon, parce que Hamon est vraiment une buse de premier ordre et que les élections législatives sont quand même un exercice très différent des présidentielles. Il est vraiment difficile de savoir ce qui va se passer, d’autant qu’on ne sait pas vraiment comment le mouvement de Macron va évoluer. Si j’ai raison et que Macron se plante lamentablement, il ne restera plus à gauche qu’un bloc centriste sur une ligne sociale-libérale qui aura été laminé par le  et un bloc plus à gauche mais inéligible car trop à gauche

Quant au FN, on peut au moins espérer que, après la rouste que Le Pen va se prendre dans quinze jours, les ennemis de Philippot au sein du parti, qui sont nombreux, lui fassent la peau au cours de la Nuit des Longs Couteaux qui va suivre. Si c’est le cas, il est probable que Le Pen arrête la surenchère gauchiste sur l’économie et la sortie de l’euro, ce qui permettrait en théorie un rapprochement avec la droite traditionnelle. Bien sûr, elle ne reviendra pas au libéralisme de son père, mais elle devrait quand même mettre de l’eau dans son vin. (Je pense que, même si Philippot survit à la défaite, le FN reviendra dans une certaine mesure sur sa politique économique de gauche. En revanche, même si les ennemis de Philippot dans le parti réussissent à s’en débarrasser, je ne crois pas vraiment qu’il y aura de rapprochement avec les Républicains.) Bref, je pense que le quinquennat de Macron sera pour l’essentiel un remake de celui de Hollande, bien que pas exactement pour les mêmes raisons. Mais au moins il sera intéressant d’observer l’évolution de la vie politique française après le 7 mai. Comme on va encore perdre 5 ans, c’est toujours ça de pris…

MISE À JOUR : J’ai oublié de dire un mot sur la décision de Mélenchon de ne pas appeler à voter pour Macron. Plus exactement, il a dit qu’il remettrait la décision à un vote des militants de son mouvement, qui je pense ont une assez grande probabilité de rejeter l’appel au vote pour Macron. Il a bien sûr absolument raison, car Le Pen n’a aucune chance donc on ne risque pas de l’accuser d’être responsable de sa victoire, mais par contre il n’aura rien à assumer de ce que fera Macron, ce qui sera important à gauche dans les années à venir. D’ailleurs je suis certain que la seule raison pour laquelle il se réfugie derrière la décision des militants de son mouvement plutôt que de dire tout de suite qu’il n’appellera pas à voter pour Macron est qu’il sait qu’il s’en prendrait plein la gueule s’il faisait ça. D’autre part, même si les militants de son mouvement décident d’appeler à voter pour Macron, il pourra toujours dire plus tard que ce n’était pas sa décision et qu’il n’a fait que s’en remettre à la démocratie, donc c’est une stratégie assez sûre.

AUTRE MISE À JOUR : Ipsos a publié une étude sur la sociologie des électorats, dont les résultats me conduisent à me demander si, en dépit de ce que je dis plus haut, je n’avais pas en fait raison de penser avant le premier tour que la proportion des électeurs de droite ayant voté Macron serait quelque part entre 33% et 45%. En effet, ils ont demandé aux gens pour qui ils avaient voté en 2012 et, quand je fais un calcul grossier, je trouve que seulement 37,5% des électeurs de Macron avaient voté pour un candidat de droite en 2012. Naturellement, certains des gens qui avaient voté à gauche avaient viré à droite aux élections intermédiaires, mais même si l’on tient compte de ce phénomène, je ne pense pas que plus de 45% des électeurs de Macron ait pu venir de la droite. La dépendance de Macron sur les voix de gauche est d’ailleurs assez flagrant quand on regarde une carte des résultats, car on voit qu’il arrive surtout en tête dans les zones où la gauche est traditionnellement forte. Dans cette étude, Ipsos analyse également les caractéristiques idéologiques et socio-économiques des abstentionnistes, ce qui confirme globalement mon analyse ci-dessus, mais montre aussi que l’effet n’a pas dû être très fort. L’électorat de droite a plus que voté que la moyenne, mais c’est toujours le cas en raison de ses caractéristiques (notamment parce que c’est un électorat plus âgé), donc il faut comparer avec le profil des abstentionnistes en 2012. On voit que les gens solidement ancrés à droite ne sont pas vraiment abstenus davantage, voire même qu’ils ont plutôt été plus nombreux à voter, mais que les gens légèrement à droite ont été moins nombreux à voter tandis que les gens qui s’identifient au centre ont été plus nombreux. L’hypothèse que j’ai fait plus haut, d’après lequel les catégories socio-professionnelles plutôt favorables à Macron ont plus souvent voté, se confirme également. En gros, Macron a fait le plein des centristes, a attiré suffisamment de gens de centre-droit et un nombre assez important de gens sans attache idéologique forte mais qui ont largement basculé à droite ces dernières années sont restés chez eux.

2 thoughts

  1. Bonjour Philippe,
    Tu as tout à fait raison : Le Pen n’a aucune chance de gagner. En revanche, j’apporterai une nuance sur le comportement des médias : les médias français ne me semblent laisser aucune ambiguïté à ce sujet, d’après ce que j’ai pu écouter lors de la soirée télévisuelle post-élection, ainsi qu’à la radio ce matin, la victoire de Macron est une évidence pour tout le monde et la majorité des journalistes ne s’en cache pas. La quasi-totalité des questions tournaient d’ailleurs déjà autour des moyens dont il disposera pour gouverner. En revanche, il ne m’étonnerait pas du tout que les médias étrangers surjouent le danger d’une victoire de Le Pen, simplement parce que ça fait vendre. Mais c’est trop gros pour passer en France où les sondages, que tu as cités, et qui se sont comme tu l’as dit révélés remarquablement précis sur ce premier tour, annoncent une très large victoire de Macron, et où tout le monde se souvient de la mobilisation contre son père en 2002.
    Je suis également d’accord sur le fait que Macron soit élu « par défaut ». Il a fait une campagne parfaite relativement au paysage politique dans lequel il s’installait. Puisque ses adversaires principaux provoquaient chacun un rejet très fort d’une majorité de l’électorat (Mélenchon et Le Pen par leur extrêmisme, et Fillon par ses affaires et ses mensonges), il n’avait pas besoin de convaincre, il avait simplement besoin de ne pas repousser, et il l’a fait quasiment sans faute.
    En revanche, et cela m’a frappé lorsque j’ai regardé la télévision hier après l’annonce des résultats, il me semble qu’une vraie scission va avoir lieu à la fois au sein de la gauche et au sein de la droite. On entend déjà d’importants responsables de gauche (Valls) et de droite (Estrosi) s’exprimer avec l’objectif manifeste de participer à la majorité de Macron. Macron n’a d’ailleurs jamais, comme tu le prétends, nié vouloir composer avec Valls et ses amis au sein d’une majorité, il est d’ailleurs évident qu’au contraire c’est bien ce qui est prévu, c’est effectivement une obligation. Il a en revanche nié que Valls ait influencé son programme ou fera partie de son gouvernement.
    Le parti socialiste et les Républicains vont tous deux être sujets à des transformations majeures. Je pense qu’il est possible que Macron ait une majorité relativement disciplinée, d’autant plus qu’il n’est pas vrai que Macron ne disposera d’aucun sortant. Dans ma ville, par exemple, où la plupart des élus sont des socialistes devenus quasiment tous pro-Macron, il me semble inévitable que certains d’entre eux seront réélus avec l’étiquette d’En Marche.

    1. Tu as sans doute raison sur le premier point au sujet des journalistes en tout cas. Il est aussi vrai que les étrangers croient beaucoup plus à une victoire de Le Pen, parce qu’ils font la comparaison avec celle de Trump et du Brexit, même si la situation est complètement différente. Mais je vois quand même pas mal de gens en France sur les réseaux sociaux qui sont complètement paniqués.

      Je sais bien que certains dirigeants de droite seront tentés par une collaboration avec Macron, mais comme je l’ai expliqué dans mon billet, je pense qu’ils vont se faire massacrer par leur base. Il y en aura bien quelques uns qui s’y risqueront, mais étant donné l’état d’esprit des militants républicains, je ne crois pas qu’il y en aura beaucoup et, de toute façon, ils ne représentent plus grand chose en termes de voix à droite. Les électeurs qui étaient sur une ligne plus centriste sont déjà passés chez Macron.

      Estrosi, bien qu’il soit un sarkozyste historique longtemps situé à la droite de l’UMP, s’est découvert récemment des velléités de rassemblement centriste depuis qu’il s’est fait élire en PACA avec les voix de la gauche, mais il est en décalage total avec la base du parti et, s’il continue, je donne pas cher de sa peau à moyen terme. Je note d’ailleurs que, au bureau politique de cet après-midi, même Baroin, qui historiquement est beaucoup plus au centre qu’Estrosi, est venu sur la position de Wauquiez, même si la veille ils semblaient en désaccord sur les plateaux de télévision.

      Qui plus est, même si les gens — y compris sans doute les principaux intéressés — ne s’en rendent pas bien compte, il y a quand même beaucoup de différences entre un Collomb et un Estrosi, donc ça ne serait pas si facile de gouverner ensemble. Comme je l’explique dans mon billet, même si on a un peu tendance à oublier ces différences, je pense qu’elles se révéleraient rapidement à l’exercice du pouvoir.

      Pour ce qui est de Valls et de ses amis, c’est très différent et, dans ce cas, je suis absolument d’accord avec toi. Comme je l’explique dans mon billet, je ne vois pas comment Macron pourra gouverner sans s’appuyer sur des socialistes repentis, de l’aile sociale-libérale du parti. La différence avec la droite est que, pour ces socialistes, c’est sans doute le seul espoir de jouer un rôle important. Les responsables de droite, en revanche, pensent que leurs idées sont majoritaires et ils ont raison. S’ils sont intelligents, ils adouciront la position de Fillon sur l’économie, mais ils ne risqueront pas de se priver d’une victoire dans 5 ans en se compromettant avec Macron pour voter quelques réformettes dont leur électorat ne leur saura aucun gré. C’est une recette pour se faire siphonner par le FN, surtout si celui-ci met un peu en veilleuse son discours gauchiste sur l’économie après la défaite du 7 mai, ce qui me paraît probable parce que Le Pen n’est quand même pas complètement débile et, contrairement à Philippot, ce n’est pas une idéologue.

      Je pense donc que, à l’exception de quelques individualités, Macron ne pourra pas compter sur le soutien de la droite. Par contre, je pense que tu as tout à fait raison que sa majorité, à supposé qu’il en ait une, reposera en grande partie sur des socialistes repentis, qui ont senti le vent tourné. Il y aura sans doute beaucoup de sortants issus du PS qui se feront réélire sous l’étiquette En Marche, alors que ce sera plus compliqué pour les candidats vraiment nouveaux, qui devront affronter des mecs bien implantés.

      C’est pourquoi je pense que son quinquennat ressemblera beaucoup à celui de Hollande. Il est vrai que, contrairement à ce dernier, il ne s’est pas fait élire sur une ligne économique de gauche. Mais d’un autre coté, s’il n’en est pas déjà conscient, il va vite s’apercevoir que les velléités réformatrice des membres de ce qui était jusqu’à récemment l’aile sociale-libérale du PS sont quand même assez limitées, parce qu’ils ont une clientèle électorale à prendre en compte. D’ailleurs, l’électorat de Macron lui-même vient en grande partie de gens de gauche qui ont voté pour lui par défaut, mais sont relativement hostiles au libéralisme économique. Ces gens-là représentent sans doute au moins un tiers de son électorat et il ne peut pas se permettre de les aliéner.

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