Interview de Fillon dans Le Monde

Fillon a donné une interview au Monde, dont l’essentiel porte sur la politique étrangère, dans laquelle il est absolument excellent. Je ne crois pas qu’un dirigeant européen majeur ait pris des positons aussi claires sur les questions que Fillon aborde dans cet entretien au cours des 30 dernières années. Voici l’extrait de l’interview qui, à mon avis, est le plus important :

Quand Donald Trump dit « America First », que doit répondre l’Europe ?

 

C’est un discours très agressif. L’Europe est prévenue. Elle doit donc s’organiser face à une politique américaine qui ne nous fera pas de cadeaux. Cela suppose, plus que jamais, une initiative européenne. Ce que Trump annonce a déjà commencé avant Trump.

 

Depuis des années, les Etats-Unis manient contre nous l’arme du dollar. Après avoir imposé une amende de 9 milliards de dollars [8,4 milliards d’euros] à la BNP-Paribas, la Deutsche Bank va devoir payer 7 milliards de dollars. Avoir engagé des négociations sur le traité transatlantique sans avoir fait un préalable du règlement de l’extraterritorialité de la justice américaine, c’est une faiblesse coupable des Européens. De même en Iran, où les Américains bloquent les Européens alors qu’ils encouragent leurs propres entreprises. Nous ne sommes pas obligés de subir les règles du jeu américaines.

 

L’OTAN est-elle « obsolète », comme l’a dit Donald Trump ?

 

L’existence d’une alliance de défense transatlantique n’est pas obsolète, elle est même nécessaire. Mais elle n’est en rien une protection contre le totalitarisme islamique qui tente de déstabiliser une zone immense qui va du Pakistan au Nigeria. Dans beaucoup de cas, la politique américaine qui pilote l’OTAN n’est pas la solution contre le totalitarisme islamique, elle est plutôt le problème. Les Etats-Unis ont commis des erreurs au Proche-Orient. Ils sont en partie responsables de la situation. Trump ou pas Trump, l’Europe doit se construire une défense propre.

 

Cette menace islamiste se posera dans des termes aigus s’il y a une déstabilisation de la rive sud de la Méditerranée. La France est très fortement présente au Mali. Je souhaite que l’Allemagne, qui a déjà fait un effort considérable en augmentant son budget de défense, s’engage à nos côtés. Je ne propose pas une défense européenne intégrée, mais une alliance européenne de défense. Il faut mettre en commun des moyens, bâtir une industrie européenne et créer un fonds qui mutualise et finance les dépenses d’intervention extérieure.

 

Faut-il sortir les dépenses de défense du Pacte de stabilité ?

 

Non, les dépenses sont des dépenses, ce sont des artifices de politiciens : à la fin, vous allez toujours voir votre banquier pour qu’il vous prête. La bonne idée c’est d’avoir une mutualisation.

 

Vous parlez du sud de l’Europe, mais il y a aussi un danger à l’est, celui de Vladimir Poutine, que vous semblez minimiser.

 

Je ne minimise rien. La relation avec la Russie est une question stratégique pour l’avenir de l’Europe. Nous avons commis des erreurs par le passé en poussant la Russie dans ses travers. C’est un pays immense qu’on ne peut pas traiter avec légèreté, c’est un pays qui n’a pas de tradition démocratique et qui détient l’arme nucléaire. Il y a deux options : soit on essaie de trouver un accord avec la Russie, soit on l’affronte. Qui peut raisonnablement vouloir entrer en conflit avec la Russie ?

 

Penser qu’on va faire plier le peuple russe en lui imposant des sanctions économiques est naïf. Il faut refonder notre relation avec la Russie. Cela passe par un règlement de la question ukrainienne. Kiev comme Moscou doivent respecter l’accord de Minsk. Dans un second temps, il faut un nouveau partenariat économique avec la Russie. Enfin, je propose une conférence Europe-Russie sur les nouvelles conditions de sécurité en Europe.

 

Est-ce que Poutine est fiable ?

 

Est-ce que les Occidentaux ont toujours été fiables ? Est-ce qu’ils n’ont jamais trompé les Russes sur la Libye, sur le Kosovo, sur le partenariat économique avec l’UE ? La Russie a beaucoup de responsabilités, mais elle n’est pas la seule. Je vous rappelle les propos irresponsables de ceux qui voudraient faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN.

 

Pour ces pays, prônez-vous la « doctrine Brejnev » : une souveraineté limitée ?

 

Non, il faut juste accepter que l’Ukraine et la Géorgie n’ont pas vocation à entrer dans l’UE et l’OTAN. Les Etats-Unis n’acceptent pas d’avoir des Etats agressifs à leurs frontières. Qu’avait-on besoin de déployer des missiles antimissiles à la frontière russe. On a fait beaucoup d’erreurs. Je constate avec gravité la dérive russe. Est-ce qu’on peut ramener la Russie à des positions plus raisonnables ? Je n’en sais rien, mais il est impératif d’essayer !

 

Est-ce que la contribution de Poutine à la lutte contre le terrorisme en Syrie est positive ?

 

La démarche russe a évité que l’organisation Etat islamique prenne le pouvoir à Damas. C’est ce qu’une grande partie des élites occidentales ne comprend pas. On aurait pu éviter de donner les clés à M. Poutine, à l’Iran et à la Turquie, si on avait pris la mesure de la réalité de la guerre civile au départ, si on ne s’était pas illusionnés sur les capacités d’une opposition démocratique syrienne crédible et si on ne s’était pas mis hors jeu. Je sais qui est Bachar Al-Assad, je sais quels crimes il a commis, mais faire de son départ un préalable était une erreur d’appréciation lourde qui a exclu les Européens du processus.

La façon dont il refuse d’abonder dans le sens des journalistes qui lui posent des questions est tout à fait remarquable. En temps normal, ces bonnes intentions ne mèneraient sans doute à rien, parce que Washington ferait pression sur les Européens pour s’opposer aux projets de Fillon. Mais avec l’élection de Trump, qui ne semble pas particulièrement attaché à l’alliance atlantique et qui souhaite une détente avec la Russie, je pense que Fillon a vraiment une chance s’il est élu Président.

2 thoughts

  1. Bonjour Philippe,
    Tu salues en préambule des positions internationales d’une clarté extraordinaire pour un dirigeant européen majeur. A l’exception de la participation à l’OTAN, elles sont en tout point identiques à celles de Jean-Luc Mélenchon qui n’a certes pas le même prestige des fonctions que Fillon mais qui est lui aussi candidat à la présidentielle et qui défend cette vision depuis bien plus longtemps. Et avec le mépris de nombreux médias et du reste de la classe politique qui ne jurent que par l’atlantisme. Pour ce qui est du reste de l’interview qui concerne la construction européenne et la relation avec l’Allemagne, elle est effectivement moins « importante » pour ne pas dire creuse. Il réfute l’assertion de Trump qui voudrait que l’UE soit au seul service de l’Allemagne mais il n’a pas l’intention de renégocier quelque traité que ce soit. En ce sens, il n’y a absolument aucune évolution de sa part et de sa famille politique. C’est la croyance majoritairement partagée en France qu’au fond, il suffit de converger économiquement vers l’Allemagne pour retrouver une certaine prospérité et pouvoir aller plus loin dans l’intégration européenne. Pour quelqu’un qui en a toujours douté (il était proche de Séguin qui dénonçait l’ultra-libéralisme du traité de Maastricht), on ne peut pas dire que cela fasse preuve de clairvoyance voire même de courage.
    Par ailleurs, félicitations pour la création de ton blog. Je te lisais sporadiquement sur Facebook, n’étant pas un utilisateur régulier, mais j’ai à chaque fois été impressionné par ta détermination et l’attention que tu portais à expliquer tes positions. Je suis rarement en accord mais c’est un plaisir de lire des choses développées et argumentées.
    Ravi que tu aies choisi de poster quelques réflexions en français, mon niveau en anglais ne me permettant pas (encore) d’en comprendre toujours toutes les subtilités.
    Longue vie à NPI !

    Un vieux pote

    1. Salut Julien et merci pour le commentaire et tes encouragements !

      Je suis absolument d’accord avec toi que Mélenchon est généralement excellent sur la politique étrangère, mais comme tu l’as toi-même noté, il n’est pas ce qu’on peut appeler un dirigeant européen majeur. Par cela, j’entends quelqu’un qui est ou a été à la tête d’un exécutif ou qui a une chance importante de l’être dans un futur proche, ce qui n’est pas le cas de Mélenchon.

      Je suis effectivement en désaccord profond avec lui sur la politique économique, mais c’est un autre débat. Je suis sûr que nous aurons à nouveau l’occasion d’en reparler, car je compte bien écrire là-dessus. J’espère que tu voudras bien nous faire part de tes objections à ce moment-là !

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