Comme prévu, Macron a été élu dans un fauteuil, tandis que Le Pen s’est pris une rouste monumentale. D’après les résultats du Ministère de l’Intérieur, elle ne fait même pas 34%, alors que Macron fait légèrement plus de 66%. Elle n’avait aucune chance de gagner, mais je pense qu’elle aurait pu faire au moins faire 40%, seulement elle a fait une campagne d’une rare stupidité. Si Hamon n’avait pas été candidat, ça aurait peut-être été la pire campagne de l’histoire des présidentielles. Elle a fait exactement l’inverse de ce qu’elle devait faire pour maximiser son score. Comme je l’ai expliqué après le premier tour, pour faire un score le plus haut possible, il fallait qu’elle courre après les voix de Fillon et ne perde pas son temps à essayer d’attirer à elle les voix de Mélenchon. Au lieu de ça, elle a fait exactement le contraire, ce qui suggère qu’elle a encore moins de sens politique que ce que je croyais. Dans son livre sur Buisson, il dit que Le Pen a le don de transformer l’or des sondages en plomb électoral. C’était déjà vrai en 2012, où déjà elle avait fait campagne sur l’économie sauf dans les derniers jours (où elle avait d’ailleurs remonté dans les sondages), mais cette année ça dépasse vraiment l’entendement…
Compte tenu de la diabolisation du FN au sein de la gauche et de l’orientation idéologique de l’électorat de Mélenchon, il était très improbable qu’elle parvienne à convaincre un nombre important de ses électeurs de voter pour elle, alors que beaucoup d’électeurs de Fillon étaient tout à fait prenables. Au mieux, elle pouvait espérer convaincre les électeurs de Mélenchon de rester chez eux, mais un électeur de Mélenchon qui restait chez lui ça au lieu de voter pour Macron ne faisait jamais que l’équivalent de 1/2 vote pour elle, ce qui vaut toujours moins qu’un électeur de Fillon qui votait pour elle. Pour quiconque ayant un cerveau, le calcul était vite fait, mais apparemment il a échappé aux stratèges du FN… À part brièvement la deuxième semaine de l’entre-deux-tours, quand le mal était déjà fait, elle a passé son temps à draguer l’électorat de Mélenchon à coups de démagogie gauchiste sur l’économie, ce qui a fait partir en courant les électeurs de Fillon qui auraient pu voter pour elle. Sa performance absolument catastrophique pendant le débat, au cours duquel elle était complètement hystérique et d’une démagogie à pleurer, a fini de l’achever.
Cette contre-performance de Le Pen a garanti un score très élevé à Macron, qui est cependant extrêmement trompeur. En effet, malgré ses 66%, celui-ci reste un vainqueur par défaut. D’après un sondage Viavoice pour Libération réalisé après le premier tour, 41% des gens qui ont voté pour lui au premier tour l’ont fait par défaut, contre seulement 15% de ceux qui ont voté pour Mélenchon et Le Pen, 20% de ceux qui ont voté pour Fillon et 22% de ceux qui ont voté pour Hamon. Il y a en gros 10% de macronistes convaincus dans ce pays, ce qui ne va quand même pas cherché loin. Macron a gagné uniquement parce que Fillon a eu les ennuis que l’on sait et parce que les socialistes ont été assez fous pour choisir Hamon. Même s’il parvient à obtenir une majorité à l’Assemblée, ce que je n’exclus pas mais qui n’a rien d’évident, il sera très compliqué pour lui de faire le genre de réformes d’envergures qu’il a prévu avec un socle électoral aussi faible. Par exemple, je crois personnellement que la nationalisation de l’Unedic n’est pas une mauvaise idée, mais ce serait une telle révolution que je ne vois pas comment quelqu’un qui si peu de gens vraiment derrière lui pourrait faire passer un truc pareil.
C’est d’autant plus vrai que, même s’il parvient à obtenir une majorité, elle sera vraisemblablement composée en grande partie de socialistes plus ou moins repentis, dont les velléités de réforme sont quand même assez limitées. Macron a déjà fait savoir qu’il acceptera de donner l’étiquette En Marche à des socialistes, à condition qu’ils soient inscrits administrativement dans la majorité présidentielle. La raison est bien évidemment que c’est indispensable pour que le parti qu’il s’apprête à créer touche les financements publics qui vont de pair avec les résultats aux élections législatives… La même chose sera d’ailleurs sans doute aussi vrai au gouvernement. Certes, un mec comme Collomb n’est pas Hamon, mais ce n’est pas non plus un foudre de guerre réformateur. Quant à Richard Ferrand, qui est l’organisateur d’En Marche, il a soutenu par le passé Emmanuelli et Aubry, donc ça m’étonnerait qu’il se révèle comme un réformateur acharné. On va également bientôt s’apercevoir que beaucoup des gens qui ont soutenu Macron en disant qu’ils ne demandaient rien ne seront cependant pas mécontents quand on leur offrira quelque chose. Or, en règle générale, ces gens-là ne sont pas non plus d’une audace réformatrice à toute épreuve… Quand bien même Macron aurait vraiment l’ambition de réformer, ce qui est probablement le cas, et qu’il soit prêt à sanctionner les membres de son équipe gouvernementale qui lui mettrait des batons dans les roues, ce dont je suis moins sûr, son socle électoral penche très à gauche, comme je l’ai déjà expliqué après le premier tour et comme ça apparaît clairement dans le sondage Viavoice pour Libération dont j’ai parlé plus haut. C’est difficile d’aller très loin quand non seulement on ne dispose que d’une base assez faible, mais qu’en plus elle penche d’un coté qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’aime pas être brusqué.
Mais, de toute façon, il n’est pas évident que Macron parvienne à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée. D’après un sondage Kantar Sofres réalisé pour le Figaro les 4 et 5 mai, les candidats de la majorité présidentielle recueilleraient 24% des suffrages, contre 22% pour ceux de LR et de l’UDI, 21% pour ceux du FN, 15% pour ceux de la France insoumise et 9% pour ceux du PS. Certes, 46% des gens disent n’être pas certains d’aller voter ou ne se prononcent pas, donc il faut être prudent, mais ce n’est quand même pas terrible… À titre de comparaison, aux législatives de 2012, les candidats de la majorité présidentielle avaient recueilli presque 40% des voix au premier tour, alors même que le PS et ses alliés n’avaient pas vraiment obtenu une majorité impressionnante, ce qui a d’ailleurs été un problème durant tout le quinquennat de Hollande. Certes, les candidats de l’UMP et de ses alliés avaient obtenu quasiment 35% des voix tandis que cette année le vote sera beaucoup plus dispersé, mais ça reste quand même difficile pour Macron d’obtenir une majorité claire. C’est d’ailleurs pour ça que je crois qu’il va passer des accords avec des sortants, principalement socialistes car les mecs de droite n’iront pas avant le premier tour des législatives, à la condition qu’ils s’inscrivent avec la majorité présidentielle. S’il refuse de faire ça, il prend vraiment un risque énorme.
J’ai découvert un outil très bien foutu qui permet de faire des projections en nombre de sièges aux législatives sur la base des résultats du premier tour des présidentielles et d’hypothèses qu’on peut modifier sur les reports de voix. Il confirme que ça va être difficile pour Macron d’obtenir une majorité absolue, même si ce n’est pas impossible. Il montre aussi que, s’il ne veut pas être complètement annihilé, le PS a intérêt à passer un accord avec le mouvement de Mélenchon. Si cela se produisait, non seulement personne n’obtiendrait de majorité absolue, mais la France serait totalement ingouvernable même sur la base d’accords ponctuels. Mais je n’y crois pas un instant, d’autant que du coté de Mélenchon, ils n’ont pas l’air d’être très accommodants, sans doute parce qu’ils pensent à l’avenir et préfèrent achever le PS quitte à avoir beaucoup moins de députés plutôt que passer un accord et lui donner une chance de renaître de ses cendres dans 5 ans. (Il faut comprendre que Mélenchon attend ce moment depuis qu’il a quitté le PS il y a 10 ans, alors je pense qu’il est prêt à des sacrifices pour s’assurer que la bête est vraiment morte.) Il me paraît très difficile de prévoir ce qui va se passer aux législatives, parce que ça va non seulement dépendre des reports de voix et de la participation dans chaque camp, mais aussi de ce que feront les différents partis en cas de triangulaires et de quadrangulaires. Ce qui est vraiment frappant, quand on joue un peu avec l’outil de projection dont j’ai parlé plus haut, c’est que quelques points de plus ou de moins pour un candidat dans le report des voix vers les uns ou les autres peut aboutir à une différence en nombre de sièges qui se chiffre en dizaines. Autant dire que, à mon avis, vous feriez bien de ne pas miser vos économies sur ce qui va se passer aux législatives.
Il est tout à fait possible que Macron obtienne une majorité absolue, même si c’est plus probable s’il part aux législatives avec un nombre significatif de socialistes concourant sous l’étiquette de la majorité présidentielle, mais il paraît tout aussi possible qu’il n’obtienne qu’une majorité relative et soit obligé de passer des accords avec des centristes de l’UDI et des Républicains. Dans ce cas, je pense qu’il n’aura aucun mal à en débaucher suffisamment pour gouverner, mais ça rendra sa majorité beaucoup plus instable. J’espère d’ailleurs ce c’est ce qui se passera, car ça permettrait de purger la droite des mous, qui après ça ne pourront plus jamais revenir. Malheureusement, il en restera toujours beaucoup qui ne seront pas assez cons pour se saborder en échange d’un maroquin, mais ce sera toujours ça de pris. En revanche, je ne crois pas du tout à une victoire de la droite, qui donnerait lieu à une cohabitation. Même si ce n’est pas tout à fait impossible, quand on fait des projections, on voit que c’est tout de même très improbable et, à mon avis, c’est un fantasme de la droite qui n’a toujours pas accepté qu’elle avait perdu l’élection présidentielle. Il est vrai que, sur le terrain idéologique, elle est à mon avis largement majorité, mais ça ne veut pas dire qu’elle peut gagner les législatives après sa défaite du 23 avril et les mecs intelligents à droite joueront le coup d’après.
Dans tous les cas, ce qui est clair, c’est que comme je l’ai déjà dit après le premier tour, Wauquiez sera président des Républicains avant la fin de l’année. Il n’est pas du tout impossible que les centristes des Républicains s’en aillent pour fonder une nouveau parti avec une partie de l’UDI, ce qui comme je l’ai dit plus haut serait à mon avis une excellente chose, mais quoi qu’il en soit la base est beaucoup trop à droite pour qu’ils puissent s’imposer à la direction du parti. J’ai lu quelque part qu’ils songeaient à susciter une candidature de Gérald Darmanin contre Wauquiez : c’est dire à quel point ils sont cons… Ces gens-là ont depuis longtemps une influence au sein des instances dirigeantes qui n’a aucun rapport avec l’importance que leurs idées — si tant est qu’ils en aient — ont parmi les militants et pas davantage au sein de l’électorat. Tous les électeurs du centre, qui en dépit de la victoire de Macron ne sont pas très nombreux, sont déjà partis chez celui-ci. Ce serait donc une excellente chose s’ils se tiraient pour fonder un parti de centre-droit, qui servirait de supplétif à Macron et, après quelques années, connaîtrait sans doute le même sort que le Modem après 2007.
Quant au FN, après la branlée qu’il vient de se prendre, ça va être l’heure des règlements de compte en interne. En particulier, dans la Nuit des Longs Couteaux qui s’annonce, il y en a beaucoup qui vont essayer d’avoir enfin la peau de Philippot. Le sort de celui-ci dépendra de l’attitude de Marine Le Pen à son égard. S’il lui reste deux sous de sens politique, ce qui étant donné la campagne qu’elle vient de faire n’est pas gagné, Philippot tombera en disgrâce et elle commencera à ramener le parti vers la droite. Évidemment, il serait stupide pour le FN de revenir à un programme libéral en économie et ce serait de toute façon politiquement impossible de faire un tel revirement si rapidement, d’autant plus qu’une dose de populisme économique n’est pas une mauvaise chose pour le parti à condition que cela n’aille pas trop loin afin ne pas rebuter les électeurs de droite. Il faut évidemment arrêter, non seulement de parler de sortir de l’euro, mais même de vouloir le faire. Il faut vraiment que Le Pen ait avalé les conneries de Philippot pour qu’elle s’entête à faire de ça son axe principal de campagne, alors qu’il est évident que c’est un véritable boulet électoral. En dépit de cette déroute, le FN obtiendra sans doute assez de députés pour créer un groupe à l’Assemblée, ce qui serait une première depuis 1986.
Mais il me paraît clair que, à court et moyen terme, le FN ne pourra pas gagner une élection présidentielle. Comme je ne crois pas non plus à une alliance de premier tour avec les Républicains en 2022, même après une purge des centristes qui auraient rejoint Macron, la solution la plus réaliste pour la droite serait de refaire le coup de Sarkozy en 2007 et de siphonner les voix du FN, avant éventuellement de passer un accord pour le second tour si c’est nécessaire. Je note d’ailleurs que, si l’alliance de Dupont-Aignan avec Le Pen après le premier tour a suscité beaucoup d’indignation chez les centristes de LR et de l’UDI, les ténors de l’aile droite ont en revanche été beaucoup plus discrets… Mais cela nécessite précisément que les Républicains se débarrassent des centristes. Cela dit, je ne pense même pas que le candidat de la droite aura besoin d’une alliance avec le FN au second tour, parce qu’il va quand même y avoir beaucoup de cocus parmi les gens qui ont voté Macron quand ils s’apercevront qu’il va gouverner avec des socialistes plus ou moins repentis et, après 5 ans de réformettes sociale-libérales sur fond de business as usual en ce qui concerne l’immigration et l’insécurité, ça m’étonnerait que la droite ait beaucoup de mal à remporter les présidentielles en 2022… La gauche ne peut tout de même pas gagner les élections sur un malentendu à chaque fois, alors que la droite n’a jamais été aussi majoritaire sur le plan idéologique.