La France est, depuis bien longtemps, un pays de droite. On peut le regretter si l’on veut, mais c’est un fait que personne ne peut ignorer, aujourd’hui encore moins qu’hier. Hollande a remporté une victoire contracyclique en 2012, mais comme quasiment tout le monde l’a reconnu à l’époque, c’était uniquement dû à l’impopularité de Sarkozy. À l’heure actuelle, qu’on le veuille ou non, une victoire de la gauche dans ce pays est forcément un hold-up. Le scandale autour de sa femme a certes affaibli Fillon, mais il n’a pas fait disparaître les électeurs de droite, qui sont toujours là et dont la plupart iront voter en avril. À moins d’une surprise, qu’avec ces ennuis judiciaires on ne peut cependant pas exclure, il est difficile d’imaginer qu’il n’obtienne pas au moins 20% des voix au premier tour. En revanche, malgré ce que disent les sondages depuis plusieurs semaines, il n’est pas difficile du tout d’imaginer que Macron fasse beaucoup moins et, à mon avis, c’est exactement ce qui va se passer. Le fait qu’il soit pour l’instant si haut dans les sondages est une anomalie que la réalité ne devrait pas tarder à se charger de corriger. Selon moi, l’unique raison pour laquelle ça ne s’est pas encore produit est que Macron a bénéficié jusqu’à présent d’une conjonction de circonstances qui lui sont aussi favorables qu’elles sont improbables, mais ça ne peut pas durer.
D’abord, comme beaucoup d’autres candidats qui faisaient de très bons scores dans les sondages quelques semaines avant le premier tour de l’élection, Macron n’a pas le soutien d’un parti. Beaucoup de gens s’imaginent que, à l’heure d’Internet, ça ne compte plus tellement. Mais bien qu’il soit sans doute vrai qu’Internet ait rendu plus facile une candidature par quelqu’un qui n’a pas le soutien d’un parti, on aurait tort de croire que ce n’est pas un handicap sérieux. Ainsi, contrairement à ce qu’on entend parfois, Trump n’est absolument pas un contre-exemple. Il est vrai que la plupart des leaders du parti républicain ne l’ont pas vraiment soutenu, mais il a bénéficié de l’infrastructure du parti sur le terrain, qui avait développé un réseau très performant sur le terrain qui a beaucoup aidé Trump à remporter l’élection. Il y a certes beaucoup de gens qui se rendent aux meetings de Macron, mais je doute que beaucoup d’entre eux sacrifient leur soirées et weekends à faire du porte-à-porte. Ce n’est pas le cas des Républicains, des socialistes ou du Parti Communiste, sans parler du FN, qui ont des militants partout en France qui collent des affiches depuis des années. D’autre part, une campagne à la présidentielle, ça coûte très cher. Encore une fois, sans le soutien d’un parti qui touche de l’argent public grâce à ses élus, c’est beaucoup plus compliqué, même si sur ce point Macron peut sans doute compter sur ses réseaux dans les milieux bancaires pour obtenir des prêts importants.
Mais le principal problème de Macron est que, comme tout le monde sait que Le Pen sera au second tour dans tous les cas de figure et qu’il est idéologiquement au centre, il est la cible naturelle des attaques de tous les autres principaux candidats. C’est une loi d’airain de la politique que l’on porte toujours principalement ses attaques sur celui qui est idéologiquement le plus proche de soi, pour la simple et bonne raison qu’on se bat avec lui pour les mêmes voix. C’est pour cette raison que Mélenchon a commis une grave erreur en 2012 en faisant campagne contre Le Pen : peut-être parce qu’il avait pris un peu trop au sérieux sa rhétorique ouvriériste, il n’avait pas compris qu’il y a avait très peu de porosité entre son électorat et celui du FN, du fait qu’en réalité il y a fort peu d’ouvriers qui votent à l’extrême-gauche. Cette loi signifie qu’à la fois Hamon et Fillon vont taper sur Macron comme des sourds pendant tout ce qu’il reste de la campagne, parce que c’est chez lui qu’ils peuvent espérer piquer le plus grand nombre de voix. Les socialistes vont l’attaquer sur son libéralisme et la droite va l’attaquer sur son laxisme en matière d’immigration et d’insécurité. Et, dans les deux cas, il est quasiment certain que ça va marcher. D’autant plus que, à un moment ou à un autre, il faudra bien que Macron sorte du bois et dévoile son programme. Or, comme a dit le Cardinal de Retz, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Mais en politique, d’une manière ou d’une autre, il faut bien finir par en sortir. Il ne pourra pas éternellement continuer à se contenter de faire des discours creux remplis de banalités et de phrases à la con du genre de celles qu’on peut trouver dans les livres de développement personnel. En sortant de l’ambiguïté, Macron suscitera nécessairement des mécontentements, aussi bien à gauche qu’à droite. Ça fera autant de gens qui repartiront chez les socialistes ou les Républicains.
Si Fillon est intelligent, ce qui étant donné ce que nous avons appris récemment n’est pas gagné, il fera campagne à droite sur les thèmes de l’immigration et de l’insécurité, qui mobilisent énormément les classes populaires dans lesquelles il a pourtant un déficit important comparé à Sarkozy en 2007. Je note d’ailleurs qu’il a récemment commencé à orienter sa campagne là-dessus, ce qui prouve quand même qu’il n’est pas si con que ça. Sa politique économique et sociale n’est pas populaire et ne l’a jamais été. Elle n’intéresse que l’électorat traditionnel de droite, qui votera de toute façon pour lui. Il n’a donc aucun intérêt à mettre l’accent là-dessus, si ce n’est le minimum nécessaire pour être en mesure d’appliquer son programme s’il est élu. À la limite, il peut toujours dénoncer l’assistanat, qui est sans doute le seul aspect de son programme économique et social qui soit populaire au sein des classes populaires, mais pour le reste il faut qu’il fasse le minimum syndical. Quand on l’oblige à en parler et qu’on lui dit qu’il demande des sacrifices aux Français, il faut qu’il explique systématiquement que c’est à l’État qu’il demande des efforts et que, en dépit de ce qu’on l’air de penser les élites françaises, ce n’est pas la même chose.
S’il faut tout ça, à moins d’une décision judiciaire calamiteuse (ce qui malheureusement peut toujours arriver), je pense qu’il se qualifiera pour le second tour. Il faut juste que, avec l’aide des socialistes, il parvienne à faire dévisser Macron. À partir du moment ce dévissage commencera, le score de Macron fondra comme neige au soleil, car contrairement à Le Pen et, dans une moindre mesure, à Fillon, il n’a pas de socle électoral solide. (Tous les sondages montrent en effet que, comparé à Fillon et plus encore à Le Pen, la proportion de gens sûrs de leur choix parmi ceux qui disent vouloir voter pour Macron est très faible.) De plus, il y a sans doute un certain nombre de gens de gauche qui pensent voter pour lui parce qu’il semble le mieux placer pour se qualifier au second tour, mais ce « vote utile » disparaîtra sans doute rapidement dès lors qu’il commencera à se casser la gueule dans les sondages. Pour des raisons que je compte expliquer dans un autre billet, si Fillon parvient à se qualifier pour le second tour, il gagnera contre Le Pen. Elle fait une excellente campagne et va faire très mal au premier tour, mais le FN n’est pas encore capable de remporter le second tour d’une élection nationale. Avant le scandale autour de sa femme, j’aurais parié tout ce que j’ai sans la moindre hésitation que Fillon serait élu Président en mai prochain, mais avec cette histoire je suis beaucoup moins sûr de moi. Cela dit, je continue de penser qu’il a de fortes chances de gagner, parce que le seul autre candidat qui semble-t-il puisse être au second tour est Macron et, pour les raisons que je viens d’expliquer, je n’y crois pas du tout.
MISE À JOUR : Le moins que l’on puisse dire, maintenant que l’élection est finie et que Fillon a été éliminé au premier tour, c’est que ce billet et notamment son titre ont mal vieilli !