Il est désormais clair que le gouvernement a décidé de nous confiner pour la troisième fois en moins d’un an. Je pense non seulement que c’est une erreur terrible, mais je crois même qu’il faudrait dès à présent assouplir certaines restrictions, le niveau de restriction actuel étant selon moi largement au dessus de ce qui serait optimal d’un point de vue coût-avantage. On ne peut pourtant pas m’accuser d’être contre un confinement par idéologie puisque j’y étais favorable en mars dernier. À cette époque, non seulement nous avions été pris par surprise en raison de l’impréparation du gouvernement, mais on n’avait aucune idée de la difficulté qu’il y avait à réduire la transmission du virus, donc on avait toutes les raisons de penser que, à moins de prendre des mesures drastiques, celui-ci continuerait à se propager jusqu’à saturation, ce qui compte tenu du nombre de reproduction de base estimé en début d’épidémie signifiait que plus de 90% de la population serait bientôt infectée et que même en supposant que l’écroulement du système hospitalier n’ait aucun effet sur la létalité du virus plusieurs centaines de milliers de personnes mourraient en quelques mois. Mais il se trouve que, depuis cette époque, nous avons accumulé beaucoup de données qui montrent clairement que ce scénario catastrophe n’a aucune chance de se produire. Malheureusement, le gouvernement et la plupart des commentateurs n’en ont pas tenu compte, donc je vais tenter d’expliquer pourquoi je pense qu’il n’est plus raisonnable de redouter un tel scénario.
Je n’ai pas le temps de faire une revue de la littérature sur les effets des interventions non-pharmaceutiques contre l’épidémie, honnêtement je devrais bosser au lieu d’écrire ce billet mais la perspective d’un nouveau confinement me désole tellement que je ne peux pas m’en empêcher, mais je ne pense même pas que ce soit nécessaire, parce que la vérité c’est qu’il suffit de regarder quelques graphiques pour se convaincre que, quel que soit l’effet des confinements et plus généralement des restrictions les plus dures, il ne doit pas être aussi énorme que beaucoup de gens l’imaginent et ce n’est certainement pas le cas que, à moins de confiner, le virus se propage rapidement jusqu’à saturation. (J’ai mis le code que j’ai écrit pour créer tous les graphiques de ce billet sur GitHub si ça vous intéresse.) Je trouve que le graphique qui illustre ça de la manière la plus frappante est celui-ci :Comme vous le voyez, la Suède a démarré plus fort que le reste de l’UE, mais elle a depuis été rattrapée et aujourd’hui le nombre de morts du COVID-19 par habitant en Suède correspond à peu près à la moyenne du reste de l’UE.
Évidemment, les restrictions ne sont pas le seul facteur qui affecte l’épidémie (c’est même précisément ce que je veux montrer), donc ce graphique ne montre pas que les confinements n’ont aucun effet, mais si les confinements et d’une façon générale les restrictions les plus dures avaient un effet aussi énorme que le disent ceux qui pensent qu’il faut reconfiner, il aurait une tête complètement différente ! En effet, même si la Suède a durci les restrictions pour lutter contre l’épidémie ces dernières semaines et que les autres pays de l’UE ont au contraire mis en place des confinements moins durs lors de la seconde vague, elles restent beaucoup moins strictes que partout ailleurs en Europe et c’était déjà vrai pendant la première vague. En particulier, même s’ils doivent fermer plus tôt et respecter des règles sanitaires plus strictes, les bars et les restaurants sont toujours ouverts et il n’y a pas de couvre-feu. Si un confinement était vraiment le seul moyen d’éviter que le virus continue à se propager jusqu’à saturation, le nombre de morts par habitant en Suède serait 3 à 15 fois supérieur. Pourtant, lors de l’allocution au cours de laquelle il a annoncé le second confinement, c’est implicitement l’hypothèse que Macron a faite quand il a prétendu que sans cela il y aurait 400 000 morts. J’ai perdu le compte du nombre de gens avec qui j’ai débattu de cette question qui ont aussi avancé un chiffre du même ordre et même souvent plus haut pour justifier leur position. Donc qu’on ne vienne pas me dire que je m’attaque à une hypothèse que personne ne défend, parce que non seulement plein de gens la défendent, mais c’est même l’hypothèse sur laquelle le gouvernement s’appuie pour justifier sa politique.
La moyenne de l’UE sans la Suède cache une hétérogénéité assez importante au sein de l’UE, mais le tableau général reste le même quand on désagrège et montre une convergence assez forte même s’il reste des disparités importantes entre pays :Cependant, ce qui est au moins aussi frappant que cette disparité qui subsiste, c’est à quel point il n’y a aucune relation évidente entre le nombre de morts par habitant et la dureté des restrictions mises en place pour lutter contre l’épidémie.
Ce n’est d’ailleurs pas vrai qu’en Europe, on constate la même chose dans le reste du monde, notamment aux États-Unis. Je vous recommande chaudement de consulter cet article du New York Times, qui montre la courbe épidémique et décrit les restrictions mises en place dans chaque État aux États-Unis. Si on ne vous donnait que les courbes et qu’on vous demandait de classer les États par ordre de dureté des restrictions, je peux vous garantir que vous seriez bien embarrassés. Si vous pensez que les confinements et d’une façon générale les restrictions les plus dures ont un effet très important, ça devrait quand même vous faire réfléchir. Nous sommes beaucoup à avoir essayer d’identifier une association entre la dureté des restrictions et la dynamique de l’épidémie, mais à ma connaissance, tous les gens qui ont essayé n’ont rien trouvé de probant. Encore une fois, ça ne démontre évidemment pas que la dureté des restrictions n’a aucun effet sur la transmission du virus, mais si l’effet était aussi important que les partisans du confinement semblent le croire, il serait facile à détecter statistiquement. Or, force est de constater que ce n’est pas le cas, donc il faut croire que l’effet ne doit pas être si important que ça. Pour que les choses soient claires, je ne doute pas qu’il soit possible de trouver un effet en utilisant des techniques statistiques sophistiquées, mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce type de techniques reposent toujours sur des hypothèses fortes qui n’ont pas été dérivées des données et qu’en général vous devriez être beaucoup plus confiant dans ce que vous pouvez voir sur un graphique qui montre les données brutes que dans ces hypothèses.
C’est pour ça que je pense que toute hypothèse qui ne peut pas être rendue plausible avec un graphique qui montre les données sans traitement sophistiqué devrait être prise avec d’énormes pincettes. Visualiser les données constitue un excellent « reality check » contre des analyses statistiques complexes qui peuvent facilement vous induire en erreur, parce qu’encore une fois elles reposent toujours sur des hypothèses fortes qui ne viennent pas des données elles-mêmes. Si vous utilisez cette règle, vous rejetterez peut-être de temps en temps une hypothèse vraie par erreur, mais ça vous évitera surtout d’accepter des hypothèses fausses parce que vous avez été maraboutés par des techniques statistiques sophistiquées qui impressionnent beaucoup les gens mais qui reposent sur des fondements plus que douteux. C’est vrai en général mais c’est peut-être encore plus vrai dans le cas de la littérature sur les effets des interventions non-pharmaceutiques sur la pandémie de COVID-19. Si le sujet vous intéresse et que vous aimeriez voir une illustration, je vous invite à lire le billet que j’ai écrit sur une étude parue dans Nature en juin dernier et citée plus de 650 fois depuis (c’est probablement le papier le plus cité par les partisans du confinement), dont les auteurs prétendent montrer que les confinements ont sauvé des millions de gens alors même que leurs propres résultats suggèrent au contraire qu’ils ont eu un effet beaucoup plus modeste.
Un autre moyen de se convaincre que, peu importe l’effet qu’ont les restrictions les plus dures, il ne doit pas être énorme, c’est de comparer le timing des interventions non-pharmaceutiques avec l’évolution de l’épidémie. En particulier, si vous regardez les données sans a priori au lieu de choisir les exemples qui vous arrangent et d’ignorer tout ceux qui sont difficiles à réconcilier avec l’hypothèse que les confinements on un effet très important, vous constaterez trois choses :
- Quand un confinement est décidé à un endroit, l’incidence commence souvent à baisser avant que le confinement soit entré en vigueur ou juste après, ce qui avec le délai de remontée des données et la période d’incubation signifie que le confinement ne peut pas être responsable du recul de l’épidémie ou du moins que celle-ci aurait reculé même en l’absence d’un confinement.
- À l’inverse, il arrive aussi souvent qu’il faille plusieurs jours voire semaines après le début d’un confinement pour que l’incidence commence à baisser, ce qui montre que le confinement n’était pas suffisant et que d’autres facteurs étaient nécessaires pour que l’épidémie commence à reculer.
- Enfin, il y a aussi plein d’endroits qui n’ont pas confiné, mais où l’épidémie a néanmoins fini par reculer alors que l’incidence augmentait de manière quasi-exponentielle, ce qui signifie que même en l’absence de confinement d’autres facteurs peuvent faire reculer l’épidémie bien avant que la saturation ait été atteinte.
Je vais juste donner un ou deux exemples pour chaque catégorie, mais je pourrais en citer beaucoup d’autres à chaque fois et, si vous cherchez un peu, vous n’aurez aucun mal à en trouver vous-mêmes.
Pour un exemple de cas où l’incidence avait déjà commencé à baisser avant que le confinement n’entre en vigueur, il n’y a pas besoin de chercher très loin, on peut prendre l’exemple du second confinement en France:On voit clairement que l’incidence avait déjà arrêté d’augmenter au moment où le confinement est entré en vigueur.
Compte tenu du fait que la période d’incubation dure en moyenne près d’une semaine et qu’il faut quelques jours après l’apparition des symptômes pour que les gens se fassent tester, que les résultats soient connus et qu’ils soient remontés dans les données, il est absolument impossible que ce soit dû au confinement. On arrive à la même conclusion quand on utilise les données sur les morts pour inférer la date du pic des infections. C’est tellement évident que ça se voit même dans les données de mortalité toutes causes confondues, qui ont l’inconvénient de ne pas inclure que les décès dû au COVID-19, mais l’avantage d’être de meilleure qualité puisque les décès y sont enregistrés par date de décès et non par date d’enregistrement. Il est aussi intéressant de noter que l’incidence a commencé à remonter bien avant la fin du confinement. Vous pouvez dire que c’est parce qu’il y avait du relâchement et que les gens ne respectaient plus assez bien les règles, mais la vous n’en savez rien et, quand bien même ce serait vrai, c’est l’efficacité du confinement réel qui nous intéresse, pas celle d’un confinement théorique dont tout le monde respecte les règles. Vous ne pouvez pas ignorer le problème du non-respect des règles, qui deviendra d’autant plus important à mesure que le temps passe et que les gens se lasseront des restrictions.
En revanche, les données sont compatibles avec l’hypothèse que le couvre-feu a été efficace, mais ça ne veut évidemment pas dire que c’est le cas et on pourrait d’ailleurs trouver d’autres exemples où l’incidence a explosé en dépit de l’instauration d’un couvre-feu. Je soupçonne malheureusement que la France ne tardera pas à nous fournir un nouvel exemple. Évidemment, ça ne veut pas dire que les couvre-feu n’ont pas un effet toutes choses égales par ailleurs, mais à l’évidence il n’est pas énorme sinon ça n’arriverait pas. D’ailleurs, dans son point du 21 janvier, Santé publique France reconnaît que même si l’évolution de l’incidence au début de l’année a été plus favorable dans les départements où un couvre-feu est entré en vigueur dès le 2 janvier, c’était déjà le cas avant :
Dans le groupe 1 [où un couvre-feu anticipé est entré en vigueur le 2 janvier], l’amélioration de la situation épidémiologique peut être en partie liée à la mise en place du couvre-feu anticipé, dont les effets sont théoriquement observables sur l’évolution du taux d’incidence à partir de S02. Néanmoins, l’évolution de la situation était déjà plus favorable dans ce groupe que dans les deux autres en semaine 01, alors qu’il était trop tôt pour que l’effet du couvre-feu anticipé puisse être observé.
À l’évidence, même si le couvre-feu à un effet toutes choses égales par ailleurs (ce qui n’est même pas clair), il ne saute pas aux yeux.
Ce qui m’amène à parler du second type de phénomène que j’ai distingué plus haut, à savoir les cas où l’incidence continue à augmenter rapidement en dépit d’un confinement. Il y a beaucoup d’exemples de ce type, mais un exemple récent que je trouve particulièrement frappant est celui d’Israël, où un confinement dur est entré en vigueur le 27 décembre, mais où le pic n’a pourtant été atteint que le 17 janvier, c’est-à-dire 3 semaines plus tard :À vrai dire, il n’est même pas certain que le pic ait vraiment été atteint, mais quoi qu’il en soit il est certain que si c’est le cas ce n’est pas grâce au confinement. Ça ne veut pas dire que celui-ci n’a pas aidé, mais à l’évidence, d’autres facteurs intervenus plus tard ont dû jouer. Dans le cas d’Israël, c’est peut-être la campagne de vaccination remarquablement efficace qui commence déjà à porter ses fruits, mais c’est très difficile à dire et ce n’est pas du tout évident.
Ce qui m’amène au troisième type de phénomène que j’ai distingué plus haut, à savoir les cas où un endroit n’a pas confiné, mais l’épidémie a quand même fini par reculer après que l’incidence a explosé. Les exemples de ce type sont pour moi les plus importants, car ils montrent que, même en l’absence de confinement et avec des restrictions beaucoup moins strictes que celles qui sont en place actuellement en France et dans beaucoup d’autres pays, une explosion de l’incidence ne dure jamais très longtemps et l’épidémie finit toujours par retomber bien avant saturation. L’exemple le plus connu est bien sûr la Suède, qui n’a jamais confiné et où les restrictions sont beaucoup moins strictes que presque partout ailleurs, mais où l’épidémie a fini par reculer bien avant saturation que ce soit au printemps dernier lors de la première vague ou plus récemment pendant la deuxième :La courbe des cas est trompeuse pour la première vague, car la Suède testait très peu, donc on a l’impression que l’incidence n’est jamais montée très haut, mais la courbe des admissions en réanimation montre très clairement qu’il n’en est rien. On voit surtout que, en dépit de l’absence de confinement, l’épidémie a rapidement atteint son pic et a commencé à reculer au début du mois d’avril. Noël et le Nouvel An ont clairement affecté les données sur les cas, mais on voit malgré tout que l’incidence baisse rapidement depuis au moins une dizaine de jours et, à en juger par la courbe des admissions en réanimations, cette baisse a probablement commencé bien avant ça. Encore une fois, l’épidémie a fini par reculer sans confinement ni couvre-feu et alors que les petits commerces, les bars et les restaurants sont restés ouverts, même si la vente d’alcool est interdite à partir de 20H et qu’un certain nombre de restrictions existent malgré tout. Pourtant, étant donné le nombre de morts, il ne fait aucun doute que l’épidémie est loin d’avoir atteint la saturation.
Beaucoup de gens pensent que la Suède est un exemple unique, mais ce n’est pas du tout le cas, il y a tout un tas d’exemples d’endroits qui n’ont pas confiné et où l’épidémie a quand même fini par reculer bien avant saturation. Par exemple, c’est le cas de la Serbie cet automne, où il n’y a pas de couvre-feu et où les bars et les restaurants sont restés ouverts en semaine même au plus fort de la seconde vague, même s’ils doivent fermer plus tôt que d’habitude et ne peuvent pas ouvrir le weekend:Encore une fois, il y a quand même des restrictions en Serbie, mais elles sont bien moins strictes qu’en France et dans la plupart des autres pays européens. Ça n’a pourtant pas empêché l’épidémie de reculer alors qu’il est clair que le pays est très loin d’avoir atteint le seuil d’immunité collective.
Aux États-Unis, plusieurs États ont également refusé de confiner, mais ça n’a pas empêché l’épidémie de finir par retomber. C’est par exemple le cas de la Floride, l’un des États les plus peuplés des États-Unis :Je montre également la courbe des décès car, comme partout ailleurs, la Floride testait très peu lors de la première vague et la courbe des cas donne par conséquent une image trompeuse de son importance par rapport aux vagues suivantes.
La Floride avait confiné en avril, mais depuis le gouverneur a refusé de renouveler l’expérience. Même au plus fort de la seconde vague, les bars et les restaurants sont restés ouverts et il n’y avait pas de couvre-feu sauf dans un comté à Miami, même si la vente d’alcool était interdite dans les bars depuis fin juin. En septembre, le gouverneur a ordonné la levée de toutes les restrictions sanitaires qui pesaient sur les bars et les restaurants, interdisant même aux jurisdictions locales d’imposer de telles restrictions localement, ce qui n’a pas empêché la seconde vague de continuer à refluer. Quand l’incidence est repartie à la hausse en novembre, alors que tous les experts et les médias demandaient qu’il impose à nouveau des restrictions, il a refusé de céder et l’État est resté totalement ouvert. Néanmoins, comme vous pouvez le voir sur le graphique, cette troisième vague a aussi fini par refluer et l’incidence en Floride baisse désormais depuis une quinzaine de jours. Alors que depuis septembre il n’y a quasiment aucune restriction, ce qui fait de la Floride un contre-exemple bien plus extrême que la Suède (en tout cas depuis que le gouverneur a levé les restrictions), mais le nombre de morts par habitant y est à peine plus élevé qu’en France.
Je pourrais continuer pendant des heures, car il y a des tas d’exemples qui contredisent la thèse que, à moins de confiner, l’incidence continue d’augmenter exponentiellement jusqu’à rapidement atteindre la saturation. Non seulement c’est manifestement faux, mais dans les pays développés au moins (je reviendrai sur ce point plus bas), l’épidémie a fini par reculer bien avant saturation partout où il n’y a pas eu de confinement, sans aucune exception. La plupart des gens n’en savent rien parce qu’il y a un énorme biais dans la façon dont les médias et la plupart des gens sur les réseaux sociaux traitent cette épidémie. Par exemple, tant que l’incidence augmentait rapidement en Suède, je voyais passer tous les jours des graphiques montrant l’explosion du nombre de cas accompagnés d’un commentaire alarmiste et/ou sarcastique sur la stratégie suédoise, mais curieusement depuis que l’incidence baisse on entend plus du tout parler de la Suède. C’est la même chose avec la Floride, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, la Géorgie, etc. qui n’ont pas confiné et où tout est resté ouvert même au plus fort des seconde et/ou troisième vagues. Quasiment personne n’a jamais entendu parler de ce qui s’est passé en Serbie qui a adopté une stratégie très proche de la Suède pendant la seconde vague.
À l’inverse, quand un confinement est mis en place quelque part mais qu’il ne produit aucun résultat visible, comme en Israël jusqu’à il y a quelques jours ou en Californie avant ça, on n’entend plus parler de cet endroit jusqu’à ce que l’incidence finisse par baisser, ce qui encore une fois finit toujours par arriver avec ou sans confinement. À ce moment-là, on recommence à entendre parler de l’endroit en question, qui devient une nouvelle preuve de l’efficacité du confinement même quand le recul de l’épidémie est intervenu beaucoup trop tard pour être attribué à celui-ci. Quand un confinement ne produit aucun résultat visible même après deux semaines, mais que les médias ne peuvent pas l’ignorer parce que c’est un pays important ou un de nos voisins, on nous assure que c’est parce qu’il n’est pas assez dur. Bien sûr, les partisans du confinement à outrance ne disent jamais à l’avance quelles mesures seront assez dures, ni au bout de combien de temps on pourra conclure que ça n’a pas marché, donc ils ne peuvent jamais perdre. Quand l’incidence repartira à la hausse dans les endroits qui n’ont pas confiné, ce qui finira bien par arriver, les mêmes qui avaient oublié leur existence se remettront à parler du « désastre suédois » ou de « sacrifice humain en Géorgie« . Les exemples qui vont dans le sens de la thèse selon laquelle seules des restrictions très dures peuvent empêcher un désastre sont répétés en boucle, tandis que tout ce qui contredit cette thèse est systématiquement ignoré.
Quand on leur signale l’existence de contre-exemples à leur thèse, les partisans du confinement à outrance ont toujours une explication. Ils sont toujours prêts à citer une différence, réelle ou imaginaire, entre les pays qui n’ont pas confiné et les autres qui expliquerait selon eux pourquoi les premiers n’ont souvent pas davantage souffert que les seconds. Dans le cas de la Suède, l’argument qui revient systématiquement, c’est celui de la densité de population. La Suède n’aurait pas plus de morts que beaucoup de pays qui ont confiné parce qu’elle bénéficie d’une densité de population très faible. Le problème c’est que, quand on regarde les données, on ne voit aucune relation claire entre la densité de population et le nombre de morts du COVID-19 :Je me suis limité à l’Europe, qui est relativement homogène en termes démographiques et économiques, pour éviter qu’une association même forte entre la densité de population et mortalité due au COVID-19 ne soit cachée par d’autres facteurs encore plus important, notamment la proportion de la population qui a plus de 60 ans. (J’ai aussi utilisé la densité de population pondérée par la population plutôt que la densité de population, car celle-ci est souvent extrêmement trompeuse du fait que même dans un pays très vaste, les gens sont généralement concentrés dans une partie infime du territoire. Je remercie Antoine Lévy pour m’avoir communiqué ce jeu de données, qu’il a construit pour les besoins de son analyse dans un récent papier, mais il va sans dire qu’aucune des opinions que j’exprime dans ce billet ne doit lui être attribuée.) Comme vous le voyez sur ce graphique, même quand on se limite à l’Europe, il n’y a aucune relation claire entre la densité de population et le nombre de morts du COVID-19. On voit aussi que la Serbie, où comme je l’ai déjà noté la seconde vague a reflué sans confinement, a pourtant une densité de population à peu près égale à celle de la France. La même chose vaut d’ailleurs pour la Floride qu’on ne voit pas sur ce graphique.
Évidemment, ça ne veut pas dire que, toutes choses égales par ailleurs, la densité de population ne favorise pas la transmission du virus et je suis même sûr que c’est le cas, mais de toute évidence l’effet n’est pas aussi important qu’on pouvait l’imaginer, sinon il serait plus facile à détecter. (Un autre argument qui revient souvent est qu’il faut seulement comparer la Suède à ses voisins car ils constituent un contrefactuel valable pour déterminer ce qui serait arrivé si elle avait confiné. J’ai déjà expliqué pourquoi c’était démontrablement faux dans un autre billet.) Je suis sûr qu’il y a plein de différences entre les endroits qui ont confiné et ceux qui ne l’ont pas fait et même que certaines affectent la dynamique de l’épidémie, même si la vérité c’est que personne ne sait lesquelles ni comment elles l’affectent. Mais il y a une telle diversité sur les plans culturels, géographiques, économiques, etc. parmi les endroits qui n’ont pas confiné que si l’épidémie a quand même reculé bien avant d’atteindre la saturation à chaque fois, il est complètement improbable que ce soit parce que tous ces endroits se trouvent avoir des caractéristiques qui rendent l’absence de confinement viable, alors que partout ailleurs cette politique aboutirait à un désastre car l’épidémie continuerait d’exploser jusqu’à rapidement atteindre le seuil d’immunité collective et ne commencerait à reculer qu’à ce moment-là. Il est beaucoup plus probable que le même type de mécanisme fait passer le nombre de reproduction sous 1 dans tous les pays qui n’ont pas confiné et probablement aussi dans ceux qui l’ont fait, mais je reviendrai sur cette question plus bas.
Apparemment, le gouvernement espagnol a l’air décidé à ne pas confiner (allant même jusqu’à chercher à empêcher les gouvernements régionaux de confiner localement), alors même que l’incidence explose depuis le début du mois:Même s’il ne cède pas à la pression médiatique et qu’il persiste dans cette voie, je prédis que l’incidence commencera bientôt à baisser, comme partout ailleurs quand l’incidence a explosé et que les autorités n’ont pas confiné. Je pense même que le pic sera atteint avant la fin de la semaine prochaine et peut-être même dès cette semaine, parce que ça augmente vraiment très rapidement depuis le début du mois et que ça va effrayer les gens qui vont modifier leurs comportements, mais quand bien même ça prendrait un peu plus longtemps, je n’ai absolument aucun doute quant au fait que le pic sera atteint bien avant le seuil d’immunité collective.
Le problème est que les gens partent du principe que, quand l’incidence commence à augmenter de manière quasi-exponentielle, elle va continuer à augmenter de cette façon jusqu’à saturation à moins de confiner, mais comme je l’ai expliqué, nous avons tout un tas d’exemples qui montrent que ce n’est pas le cas et donc que ça n’a pas de sens d’extrapoler la croissance actuelle en supposant qu’elle va se poursuivre indéfiniment jusqu’à ce qu’entre 60% et 70% de la population (selon l’estimation qu’on retient pour ) ait été infectée. C’est vrai que, dans un modèle épidémiologique de type SIR, l’incidence croît quasi-exponentiellement jusqu’à ce qu’on approche du seuil d’immunité collective, mais c’est seulement le cas quand on suppose que le taux de contact reste constant. Or, avec ou sans confinement, le taux de contact ne reste jamais constant parce que les gens réagissent aux informations sur l’épidémie et modifient leurs comportements, ce qui fait baisser le taux de contact et donc le nombre de reproduction. (Je passe sur le fait que, au-delà de l’hypothèse de taux de contact constant qui peut facilement être assouplie, le modèle d’où vient la formule que tout le monde utilise pour calculer le seuil d’immunité collective est totalement irréaliste, notamment parce qu’il suppose que la population est parfaitement homogène, donc en réalité on ne sait pas quel est vraiment le seuil d’immunité collective.) D’ailleurs, même si ce n’était pas le cas, compte tenu du fait que, sous l’effet des restrictions déjà en place et des changements de comportement spontané des gens, est aujourd’hui à peine supérieur à 1, l’épidémie commencerait à reculer bien avant que le seuil d’immunité collective soit atteint même si le taux de contact restait constant.
Les restrictions ont à la fois des effets directs et des effets indirects. Les effets directs consistent à empêcher physiquement certains événements qui favorisent la diffusion du virus. Par exemple, si le gouvernement interdit les rassemblements et que cette interdiction est respectée, il devient physiquement impossible pour une seule personne d’infecter des centaines de gens en même temps. Mais les restrictions ont aussi un effet indirect parce qu’elles envoient un signal à la population, ce qui peut avoir un effet sur leurs comportements et donc affecter le taux de contact. Ma théorie sur la dynamique de l’épidémie est que, une fois qu’on a mis en place quelques restrictions de base, notamment l’interdiction des rassemblements, à moins d’aller très loin comme à Wuhan (ce qui selon moi n’est ni possible ni souhaitable dans une démocratie), toutes les restrictions qu’on ajoute à cela ont un rendement marginal en termes d’impact sur la transmission qui décroît rapidement parce qu’elles sont un instrument trop imprécis pour cibler les comportements qui contribuent le plus à la transmission. (Mais comme je l’explique plus bas, il n’en va pas forcément de même pour leur coût ! Quand vous interdisez aux gens de sortir après 18H, l’impact sur la transmission est sans doute faible à supposer qu’il existe, mais celui sur le bien-être des gens ne l’est pas.) En termes simples, ça veut dire qu’une fois que les autorités ont mis en place des restrictions relativement limitées, tout ce que le gouvernement fait ensuite a un effet de plus en plus faible sur la transmission et par conséquent les mesures les plus dures n’ont qu’un impact relativement négligeable sur la dynamique de l’épidémie. Encore une fois, je ne prétends pas que les confinements et plus généralement les mesures les plus strictes contre l’épidémie n’ont aucun effet, je dis juste que leur effet n’est pas très important et certainement beaucoup moins important que les partisans du confinement à outrance l’imaginent.
Notez que ma théorie prédit aussi que, dans les endroits où le taux de létalité du virus est beaucoup plus bas qu’en France parce que la population est beaucoup plus jeune, le virus pourra se diffuser plus rapidement et le taux d’attaque final sera plus important, car le mécanisme de feedback qu’elle postule repose principalement sur l’augmentation du nombre de morts et d’hospitalisations qui fait peur aux gens. Dans un endroit où la population est très jeune, il faut que le taux d’incidence monte beaucoup plus haut pour que les hôpitaux soient submergés et que les gens commencent à mourir en masse, donc que les gens prennent peur et modifient suffisamment leurs comportements pour que passe sous 1 et que l’épidémie commence à reculer. Par exemple, les partisans du confinement citent souvent le cas de Manaus, une ville brésilienne où une étude a conclu qu’environ 75% de la population avait déjà été infectée et où l’épidémie est pourtant repartie. D’abord, il est douteux que 75% de la population avait vraiment été infectée à ce moment-là, car l’étude se base sur un échantillon non-aléatoire et le chiffre de 75% a été obtenu après des ajustements importants pour tenir compte de la mauvaise qualité du test utilisé, la séropositivité n’ayant jamais dépassé 44% dans aucun échantillon. Quoi qu’il en soit, il est clair que le taux d’attaque à Manaus est beaucoup plus élevé que n’importe où en France ou en Europe, mais ça n’a rien d’étonnant si ma théorie est vraie.
En effet, la population à Manaus est beaucoup plus jeune qu’en Europe, donc même si le taux d’attaque a augmenté beaucoup plus rapidement, ce n’est pas le cas du taux de mortalité. D’après les statistiques officielles, le 8 décembre 2020, 3 167 décès avaient été attribués au COVID-19 pour une population d’environ 2,2 millions, soit un taux d’environ 1 438 morts par million d’habitants. À titre de comparaison, à la même date, 2 543 décès avaient été attribués au COVID-10 à Paris rien que dans les hôpitaux. (Je parle du département de Paris et pas de l’agglomération au sens large, pour laquelle il est impossible de connaître le nombre de décès attribués au COVID-19.) Je n’ai pas trouvé les séries temporelles du nombre de décès attribués au COVID-19 dans les Ehpad par département, mais le 15 avril 2020, il y avait déjà eu 518 morts du COVID-19 dans les Ehpad de Paris. Le nombre de décès attribués au COVID-19 dans les Ehpad de Paris au 8 décembre était donc sans doute au moins le double et probablement beaucoup plus. Même si on part du principe que c’était le double, ça veut dire que plus de 3 500 personnes étaient mortes du COVID-19 au 8 décembre à Paris, dont la population est à peu près équivalente à celle de Manaus.
Le taux de mortalité à Paris était donc supérieur à celui de Manaus et, si ma théorie est exacte et que la dynamique de l’épidémie dépend principalement des comportements individuels des gens, que les restrictions mises en place par les autorités n’ont qu’un impact limité sur ceux-ci et que c’est principalement la peur quand les morts et les hospitalisations commencent à s’accumuler qui poussent les gens à modifier suffisamment leurs comportements pour que l’épidémie recule, ça n’a rien d’étonnant que le taux d’attaque ait pu monter beaucoup plus haut à Manaus, même si on suppose que le nombre de morts du COVID-19 a été beaucoup plus sous-estimé là-bas qu’à Paris. Encore une fois, d’après cette théorie, ce n’est que quand les gens prennent peur parce qu’ils entendent que les hôpitaux sont en train de se remplir et que les morts sont en train de s’accumuler qu’ils modifient leurs comportements suffisamment pour enrayer la transmission du virus. Autrement dit, non seulement Manaus et les autres cas du même genre dont parlent souvent les partisans du confinement (comme la ville du Cap en Afrique du Sud où il y aussi eu beaucoup de morts et où la population est aussi très jeune) ne sont pas des contre-exemples à ma théorie, mais ce sont des prédictions de ma théorie !
Bien sûr, cette théorie telle que je l’ai énoncée est très vague, je ne donne pas de chiffre précis pour dire ce que j’entends par « rendement marginal rapidement décroissant » ou « effet pas très important », mais la vérité c’est qu’on ne peut rien dire de plus précis et que les gens qui prétendent le contraire sont en train de vous arnaquer. Je vois constamment les gens dans chaque camp se balancer à la tête des études qui estiment l’effet des interventions à deux décimales près avec des intervalles de confiance qui font « scientifique », mais tout ça ne veut rien dire parce que le modèle est toujours mal spécifié, qu’il y a des problèmes de biais de variables omises, d’erreur de mesure, de simultanéité, etc. (Encore une fois, si vous voulez voir un exemple de ce qui se passe quand on se plonge dans les détails d’une étude qui est constamment citée pour « démontrer » l’efficacité des confinements, je vous invite à lire le billet que j’ai écrit sur l’étude de Flaxman et al. parue dans Nature. Il se trouve que c’est une étude qui va dans le sens des partisans du confinement, mais pour être clair, je pourrais faire la même chose avec quasiment n’importe quelle étude qui « montre » que les confinements n’ont aucun effet.) Les seules études que vous pouvez à peu près prendre au sérieux, ce sont celles qui exploitent une expérience naturelle pour estimer l’effet des restrictions dans un seul pays, comme cette étude sur le confinement imposé localement dans certaines municipalités au Danemark, qui n’a trouvé aucun effet clair. Mais les conclusions de ce genre d’études ne peuvent pas facilement être généralisées à d’autres pays, donc même elles ne sont pas si utiles que ça.
Pour autant, ça ne veut pas dire que toute cette confusion ne peut rien nous apprendre, je pense au contraire qu’elle nous dit quelque chose : quel que soit l’effet des mesures les plus strictes, qui encore une fois est impossible à estimer précisément, il peut difficilement être très important, parce que si c’était le cas il serait plus facile à détecter et il n’y aurait pas autant de résultats contradictoires dans la littérature. Je pense d’ailleurs que, à cet égard, il va être très intéressant de comparer les interventions non-pharmaceutiques avec les vaccins. En effet, quand on regarde les données sur l’efficacité du vaccin de Pfizer, l’effet saute immédiatement aux yeux sans qu’il soit nécessaire de faire la moindre analyse statistique :Évidemment, il s’agit de données issues d’un essai clinique dans un environnement contrôlé, donc ce n’est pas vraiment comparable. Mais l’effet est tellement énorme que, même si je pense que l’efficacité sera moins impressionnante dans la population car je crois qu’il y a des raisons de penser que les personnes les plus vulnérables étaient sous-représentées dans l’échantillon de l’essai, je prédis qu’il ne sera pas difficile de détecter l’effet du vaccin dans la population une fois que suffisamment de gens auront été vaccinés et qu’il n’y aura pas autant de résultats contradictoires dans la littérature que dans le cas des interventions non-pharmaceutiques.
Une question qui revient souvent quand j’expose ma théorie, c’est comment il se fait que, si j’ai raison, tous les pays mettent en place des confinements et/ou des restrictions très dures pour lutter contre l’épidémie. D’abord, comme j’espère l’avoir démontré, il n’est pas vrai que tous les gouvernements font ça, loin s’en faut. C’est juste que, à cause du biais dans la façon dont les médias traitent la pandémie, la plupart des gens ne savent pas que beaucoup de pays ont adopté une politique beaucoup moins restrictive. Mais je pense aussi pouvoir expliquer ce qui se passe dans les autres pays. Après que la Chine a inauguré la stratégie du confinement, puis a été suivie par l’Italie, avant que presque toute l’Europe imite cette dernière, l’épidémie a rapidement reculé partout, ce qui a convaincu les gens que les confinements étaient très efficaces. (Je pense que si le virus était apparu dans un pays démocratique ou même que l’Italie n’avait pas décidé d’imiter la stratégie chinoise, il est tout à fait possible qu’à l’heure actuelle il y aurait un consensus tout aussi fort contre cette stratégie que celui qui existe en faveur de celle-ci aujourd’hui. L’épisode des masques a déjà montré à quel point le mimétisme jouait un rôle important dans le discours des experts.) Peu importe que ce qu’on appelle « confinement » était beaucoup moins strict dans certains pays que dans les autres et que ces différences en termes de dureté n’ont eu aucun effet évident sur la trajectoire de l’épidémie. Surtout, peu importe que l’incidence a aussi baissé rapidement en Suède, où il n’y a pas eu de confinement du tout.
Maintenant que cette idée est ancrée dans les esprits des gens qui font partie de la classe médiatique ou qui influence cette dernière, à chaque fois que l’épidémie repart, les différents gouvernements, qui partagent sans doute cette croyance mais qui sont plus réticents à mettre en place des mesures très strictes car ils sont aux responsabilités et perçoivent plus clairement les conséquences sociales et économiques, se retrouvent sous une énorme pression médiatique pour confiner. Dans la majorité des cas, ils finissent par céder, puis évidemment l’épidémie commencent à reculer (même si comme nous l’avons vu il arrive aussi que ça commence avant l’entrée en vigueur du confinement), après quoi tout le monde décrète que « le confinement a marché », alors que l’épidémie aurait reculé même sans confinement. Post hoc ergo propter hoc ! Encore une fois, l’épidémie aurait peut-être commencé à reculer un peu plus tard et elle aurait peut-être reculé un peu moins vite, je ne dis pas que les confinements et les restrictions les plus dures n’ont aucun effet, mais la différence n’aurait pas été énorme et surtout elle ne justifiait pas le coût du confinement. Ce qui m’amène au dernier sujet que je voulais aborder dans ce billet, à savoir la question de l’analyse coût-avantage du confinement et des restrictions les plus dures en général.
Je ne prétends pas faire une analyse coût-avantage sérieuse ici. Ce billet est déjà long et, pour être fait correctement, un tel exercice demanderait un billet à part entière. Mais je pense qu’un calcul de coin de table suffit à se convaincre que, à moins de faire des hypothèses complètement extravagantes, non seulement un troisième confinement ne pourrait jamais passer un test coût-avantage, mais beaucoup de restrictions actuellement en place non plus. Supposons donc que, si une politique « à la suédoise » était appliquée en France, la pandémie causerait 75 000 morts supplémentaires au cours des 6 mois qui viennent par rapport à une politique consistant à confiner une troisième fois et maintenir les restrictions actuelles (la fermeture totale des bars et des restaurants, la fermeture partielle des universités, etc.) pendant encore plusieurs mois. Pour être clair, cette hypothèse est complètement absurde, aucune personne raisonnable ne devrait prendre au sérieux une affirmation pareille. Pour vous donner une idée d’à quel point c’est absurde, 75 000 morts c’est plus que le nombre de décès attribués au COVID-19 en France depuis le début de la pandémie. Il faudrait donc croire qu’adopter une politique « à la suédoise » provoquerait une telle hécatombe, alors même que quand on compare le nombre de morts entre les endroits qui ont appliqué une politique très restrictive et ceux qui ont appliqué une politique « à la suédoise » et même souvent beaucoup moins restrictive, on peine à détecter la moindre différence.
Mais peu importe, le but de cet exercice est précisément de montrer que, même en faisant des hypothèses qui devraient faire pencher la balance très fortement en faveur du confinement et plus généralement des restrictions les plus dures, on arrive quand même à la conclusion que les coûts d’une politique restrictive sont largement supérieurs aux bénéfices. Les gens qui meurent du COVID-19 sont généralement très vieux. En effet, d’après Santé publique France, 93% des cas de COVID-19 décédés avaient plus de 65 ans. Combien d’années de vie sont perdues en moyenne pour chaque décès causé par COVID-19 ? Un certain nombre d’études, comme celle-ci, ont estimé le chiffre à environ 10 ans. Comme je l’ai expliqué ailleurs, cette estimation est au mieux une borne supérieure et le véritable chiffre est sans doute nettement inférieur. Mais encore une fois, je veux mettre toutes les chances du côté de la politique restrictive du gouvernement, donc je vais supposer qu’une personne qui meurt du COVID-19 aurait en moyenne vécu 10 ans de plus en bonne santé si elle n’avait pas été infectée par SARS-CoV-2. Si on reprend l’hypothèse de 75 000 décès évités que j’ai faite plus haut, ça veut dire que cette politique restrictive va économiser l’équivalent de 750 000 années de vies. Bien sûr, les bénéfices d’une politique qui réduit la taille de l’épidémie ne se limitent pas aux années de vie sauvées pour les personnes qui seraient mortes des suites d’une infection par le virus (j’y reviendrai brièvement plus bas), mais il s’agit de très loin du principal bénéfice, donc pour cet exercice je ne vais rien prendre en compte d’autre.
Il nous reste donc à parler des coûts d’une politique restrictive visant à réduire la taille de l’épidémie. Quand on parle des coûts du confinement et des restrictions, les gens pensent immédiatement aux conséquences économiques. Cependant, bien que je pense que celles-ci seront probablement considérables à long terme, il n’est même pas nécessaire de les prendre en compte pour se convaincre que la politique du gouvernement est une folie. Donc plutôt que de faire des hypothèses forcément très hasardeuses sur les conséquences économiques à long terme du confinement et des restrictions les plus dures, je vais uniquement prendre en compte l’effet direct qu’ont les restrictions sur le bien-être des gens pendant qu’elles sont en place. Supposons donc que, par rapport à une politique « à la suédoise », la politique restrictive du gouvernement réduise le bien-être des gens d’environ 5% en moyenne au cours des 6 prochains mois. Concrètement, ça voudrait dire que, pour ne pas être confinés, qu’il n’y ait pas de couvre-feu, que les bars et les restaurants puissent rouvrir dès à présent au moins une partie de la journée, etc. les gens seraient en moyenne prêts à sacrifier un jour par mois au cours des 6 prochains mois. Ça me semble très optimiste et je serais très étonné si le véritable impact n’était pas beaucoup plus important. Je ne dis pas ça parce que je suis personnellement très affecté par ces restrictions, car étant donné mon mode de vie, je pense au contraire qu’il y a très peu de gens qui vivent ces restrictions aussi bien que moi.
Bref, si on retient cette hypothèse, comme la France compte environ 67 millions d’habitants, ça veut dire que, par rapport à une politique « à la suédoise », la politique restrictive du gouvernement va coûter l’équivalent de 1 675 000 années de vie. C’est environ 2,2 fois plus que les bénéfices si l’on reprend les hypothèses que j’ai faites au dessus ! Pourtant, j’ai à dessein choisi des hypothèses complètement irréalistes pour mettre toutes les chances du côté de la politique restrictive du gouvernement, mais ça n’a pas suffit et il s’en faut même de beaucoup. Si plutôt que 75 000 décès évités, je retiens le chiffre de 30 000, ce qui pour être clair reste beaucoup trop haut selon moi (ça représente près de 50% du nombre total de morts attribuées au COVID-19 en 2020), le coût de cette politique est environ 5,5 fois supérieur aux bénéfices. Si je suppose en plus que cette politique va réduire le bien-être de la population de 10% en moyenne au cours des 6 prochains mois au lieu de 5%, le coût est environ 11 fois supérieur aux bénéfices !
Bien sûr, si on part du principe que les restrictions les plus dures sont efficaces (ce que je fais dans le cadre de cet exercice, même si encore une fois je pense qu’elles ont probablement un effet très limité), la politique restrictive du gouvernement a d’autres avantages notamment que le nombre de vies sauvées. Par exemple, la mort de quelqu’un ne réduit pas que le bien-être de cette personne, mais aussi celui de ses proches qui n’auront plus le plaisir de passer du temps avec elle. Il faudrait aussi prendre en compte les conséquences à long terme d’une infection par le virus même quand elle n’a pas été fatale. (Il y aurait beaucoup à écrire sur le sujet, car ayant maintenant jeté un coup d’oeil à la littérature sur le sujet, je pense que beaucoup de bêtises ont été dites sur le sujet, mais ce sera pour une autre fois.) Cependant, sauf à faire des hypothèses complètement invraisemblables, je pense que tout ça ne sont que des effets de second ordre par rapport au nombre d’années de vie perdues à cause des décès entraînés par COVID-19. De plus, comme je l’ai déjà noté, du côté des coûts de la politique restrictive du gouvernement, je n’ai pris en compte que leur impact contemporain sur le bien-être de la population ! Je pense que, à côté des conséquences économiques à long terme des restrictions, tous les bénéfices que cette politique a ne représentent pas grand chose même dans le meilleur des cas. Sans même parler du danger à long terme que représente le précédent que nous sommes en train de créer en laissant le gouvernement abolir tout un tas de libertés fondamentales par le fait du prince.
Encore une fois, ça reste une analyse très rudimentaire, mais je pense que c’est suffisant pour se convaincre qu’il est complètement improbable qu’une analyse coût-avantage sérieuse puisse justifier la politique du gouvernement. Au contraire, je pense qu’il est clair que non seulement un troisième confinement serait une folie, mais qu’il faut même dès à présent commencer à assouplir les restrictions et aller vers une politique plus proche de ce que fait la Suède, tout en vaccinant le plus de gens possible et le plus rapidement possible. Si vous pensez que j’ai tort, il ne suffit pas de dire que vous n’êtes pas d’accord avec telle ou telle hypothèse que j’ai faite, il faut que vous montriez que, si j’avais fait une hypothèse selon vous plus raisonnable, la conclusion aurait été différente. Honnêtement, je ne crois pas un instant que ce soit possible sans faire des hypothèses complètement déraisonnables, mais vous pouvez toujours essayer. Si l’on retient mon hypothèse d’une réduction du bien-être des gens de 5% en moyenne au cours des 6 prochains mois par les restrictions et qu’on suppose toujours qu’en moyenne chaque victime du COVID-19 aurait vécu 10 ans de plus, il faudrait que, par rapport à une politique « à la suédoise », la politique restrictive du gouvernement sauve 167 500 vies au cours des 6 prochains mois, c’est-à-dire environ 2,3 fois plus que tous les décès attribués au COVID-19 en France depuis le début de la pandémie ! Ce n’est pas sérieux et, à mon avis, il n’y a même pas besoin de faire une analyse plus rigoureuse pour voir que la politique du gouvernement est absurde. Encore une fois, si les restrictions les plus rigoureuses avaient vraiment un effet si important, ça se verrait très clairement dans les données, mais ce n’est pas le cas.
Je sais aussi qu’il y a beaucoup de gens qui trouvent le principe lui-même d’une telle analyse absurde au motif que « une vie n’a pas de prix », mais c’est juste un slogan et en réalité personne ne pense vraiment ça. Pour vous en convaincre, imaginez qu’un démon nous annonce que, à moins que nous acceptions de confiner le pays entier pendant 10 ans, il tuera une personne au hasard. Il est évident que personne à part quelques illuminés accepterait ce marché. Si le démon nous disait qu’il allait tuer plus de gens et/ou que pour l’éviter il faudrait que nous acceptions de confiner l’ensemble du pays pendant moins longtemps que 10 ans, vous jugeriez peut-être que ça vaut le coup, mais cette expérience de pensée montre que, même si vous faites partie des gens qui disent que « une vie n’a pas de prix », vous ne croyez pas vraiment ce que vous dites. Il y a un moment où le coût devient suffisamment important pour qu’on accepte de sacrifier des vies. Dès lors que vous acceptez ce principe, vous acceptez la logique d’une analyse coût-avantage. Bien sûr, personne n’a dit que ce type d’analyse était facile à faire, c’est même très difficile à faire correctement. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’essayer à l’exercice, ne serait-ce que parce qu’il vous force à vous poser la question des hypothèses que vous faites pour guider vos choix, ce qui peut vous empêcher de faire une énorme bêtise.
Je pense précisément que le gouvernement, sous la pression des médias, est en train de faire une énorme bêtise et c’est pour ça que je voudrais que les gens réfléchissent davantage à ce qu’ils proposent. Quoi qu’il en soit, même si vous êtes en désaccord avec moi et que vous soutenez la politique du gouvernement, vous devriez au moins être d’accord qu’il est scandaleux que le gouvernement se permette d’abolir un grand nombre de libertés fondamentales pendant des mois sans avoir publié la moindre analyse coût-avantage pour justifier cette politique. Je suis convaincu que, dans quelques mois ou quelques années, la plupart des choses que j’explique dans ce billet seront acceptées par un grand nombre de gens, mais malheureusement il sera trop tard car les dégâts auront déjà été faits. Je ne fais pas d’illusions et je doute que je parvienne à convaincre beaucoup de gens, tant le débat sur le confinement et plus généralement la politique de lutte contre la pandémie a pris une tournure idéologique. Mais j’espère quand même avoir convaincu quelques uns d’entre vous et, même si je ne vous ai pas convaincu qu’il fallait abandonner la politique du gouvernement et adopter une politique « à la suédoise », j’espère au moins vous avoir convaincu que l’opportunité d’un troisième confinement et même de la poursuite d’un certain nombre de restrictions n’avait rien d’évident et qu’il y avait des raisons sérieuses de douter que ce soit une bonne idée.
ADDENDUM : Un argument qui revient souvent et qui mérite que j’en dise un mot est que, même si un confinement ne sert pas à grand chose s’il intervient trop tard, il peut faire une énorme différence quand il est appliqué à un moment où l’incidence est suffisamment basse. Ce serait la raison pour laquelle le Portugal a été relativement épargné pendant la première vague, alors que celle-ci a fait des dégâts considérables en Espagne. Mais je pense que la différence entre l’Espagne et le Portugal tient davantage au fait que, au moment où les comportements des gens ont commencé à changer parce qu’ils avaient peur, l’épidémie était déjà à un stade beaucoup plus avancé en Espagne qu’au Portugal. C’est la même chose qui selon moi explique la différence entre la Suède et ses voisins nordiques, comme je l’ai expliqué dans un précédent billet où j’infère l’incidence réelle pendant la première vague à partir des données sur les décès attribués au COVID-19 dans les pays nordiques. Notez également que le « confinement » des voisins nordiques de la Suède n’avait rien à voir avec le nôtre et qu’il était moins contraignant que les mesures en place à l’heure actuelle en France. Par ailleurs, dans le cas de la Finlande, le pic des infections a manifestement été atteint 2 à 3 semaines après le début du confinement, donc manifestement il a fallu autre chose. De toute façon, avec plus de 20 000 cas par jour, ça fait longtemps que nous n’en sommes plus là.
Un autre argument qui revient souvent est qu’il faudrait confiner pour éviter l’apparition de nouveaux variants plus transmissibles et/ou létaux. Même si le variant britannique et les autres variants dont on parle en ce moment sont vraiment aussi transmissibles et/ou létaux qu’on le dit, ce qui est douteux parce que pour l’instant les données ne sont pas claires du tout (je m’amuse d’ailleurs beaucoup que les mêmes gens qui rejetaient catégoriquement les méthodes observationnelles il y a quelques mois acceptent désormais comme parole d’Évangile les conclusions d’études observationnelles qui sont à mon avis d’assez mauvaise qualité même si on ne peut guère faire mieux avec les données qu’on a), ça ne change rien fondamentalement à mon argument puisque je pense encore une fois que les confinements et d’une façon générale les restrictions les plus dures n’ont qu’une efficacité limitée. De plus, il faudrait que les gens qui utilisent cet argument nous expliquent pourquoi c’est un argument pour se confiner pendant quelques mois pour éviter l’apparition de variants plus dangereux de SARS-CoV-2, mais pas aussi un argument pour se confiner perpétuellement pour éviter l’apparition de variants plus dangereux de n’importe lequel des centaines d’autres virus respiratoires, dont beaucoup sont aussi des virus à ARN avec un long génome, qui circulent depuis des siècles et même des millénaires.
UN AUTRE ADDENDUM : Je voulais préciser quelque chose d’important pour vous aider à faire votre propre analyse coût-avantage. Il est crucial de comprendre que, quand on cherche à estimer l’effet des restrictions sur le bien-être des gens en leur demandant combien de jours en moyenne ils seraient prêts à sacrifier au cours des 6 prochains mois pour ne pas être confinés, qu’il n’y ait pas de couvre-feu, que les bars et les restaurants puissent rouvrir dès à présent au moins une partie de la journée, etc., il faut bien préciser qu’ils doivent imaginer qu’il n’y a pas de pandémie et que leur réponse n’aura aucune influence sur le nombre de gens qui mourront. En effet, si on ne précise pas ça en leur posant la question, ils vont intégrer ce qu’ils pensent être l’impact de leur décision dans leur réponse, alors que nous leur posons justement cette question pour estimer l’impact que les restrictions supplémentaires induites par la politique du gouvernement ont sur leur bien-être indépendamment des bénéfices attendus de cette politique par rapport à une politique moins restrictive.
Par conséquent, si on faisait une enquête pour estimer l’impact des restrictions sur le bien-être de la population, il faudrait demander aux gens d’imaginer qu’on leur ait posé cette question à une époque où il n’y a pas de pandémie, sinon notre calcul coût-avantage sera faussé. (AJOUT : En fait, c’est plus compliqué que ça, voir le commentaire de Leo Grin plus bas et ma réponse.) Par conséquent, si on fait l’hypothèse que la politique du gouvernement va sauver 37 500 vies et que chaque mort du COVID-19 correspond à 7,5 années de vie perdues en moyenne (ce qui reste totalement délirant selon moi, du moins en ce qui concerne le nombre de vies sauvées), il faudrait pour que les bénéfices de cette politique soit supérieurs à son coût en termes de réduction du bien-être de la population que, en temps normal, les gens ne soient pas prêts à sacrifier plus de 24H sur 6 mois pour qu’il n’y ait pas de couvre-feu, que les bars et les restaurants puissent ouvrir au moins une partie de la journée, qu’ils ne soient pas confinés du tout au cours de ces 6 mois. Est-ce que quelqu’un peut vraiment croire que, si on avait demandé ça aux gens avant la pandémie, ça aurait été le cas ?
MISE À JOUR : J’ai corrigé une coquille et ajouté une précision suite au commentaire de Bruno Dandolo ci-dessous. Par ailleurs, dans la section où je parle de l’argument selon lequel on ne peut pas comparer la Suède aux pays qui ont confiné au motif qu’elle a une densité de population beaucoup plus faible, j’ai ajouté un lien vers le billet dans lequel je réponds à l’argument selon lequel le faible nombre de morts chez les voisins scandinaves de la Suède montre que l’absence de confinement a joué un rôle déterminant.
AUTRE MISE À JOUR : J’ai ajouté une remarque entre parenthèses pour noter que, si les restrictions ont un rendement marginal rapidement décroissant, il n’en va pas de même pour leur coût.
Merci pour ce texte.
Deux points mineurs:
Vous écrivez: » le modèle d’où vient la formule que tout le monde utilise pour calculer le seuil d’immunité collective est notamment irréaliste, notamment parce qu’il suppose que la population est parfaitement homogène ». Je suppose que vous vouliez écrire « totalement irréaliste » plutôt que « notamment irréaliste ».
Par ailleurs, pour votre comparaison Manaus – Paris, j’ai tiqué avant de me rendre compte que vous parliez de Paris intra muros (2.2M hab) et pas de l’agglomération (10M hab.). Il faudrait peut-être le préciser.
Merci de m’avoir signalé cette coquille, je viens de corriger. Sur le second point, je parlais effectivement du département de Paris. J’ai ajouté une note pour clarifier cela.
Quand vous écrivez « Ça me semble très optimiste et je serais très étonné si le véritable impact était beaucoup plus important. », vous voulez dire « si le véritable impact n’était pas beaucoup plus important » j’imagine (ou j’ai mal compris) ? Super article par ailleurs, très instructif.
Tout à fait, merci de m’avoir signalé cette coquille, je viens de corriger !
Merci Philippe pour cet article.
J’ai voulu faire un don via le plugin de wordpress mais ça n’a pas marché (il ne se passe juste rien lors du clic). Je n’ai pas voulu réessayer par peur de faire un double virement, et malheureusement je n’avais pas la console du devtool de chrome pour repérer une possible erreur.
En ce qui concerne l’article, merci vraiment d’avoir pris le temps de l’écrire. Ce n’est absolument par pour le dénigrer, mais je trouve ça fou qu’il y ait besoin de l’écrire, car au final, j’ai l’impression qu’il ne raconte que des choses assez évidentes pour n’importe quelle personne qui suit un petit peu les données sur le COVID-19 à travers le monde sans trop d’apriori, et qui n’a pas le cerveau atrophié par le malsain chantage affectif à base de « c’est pour sauver des vies ». Je pense qu’il y a aussi beaucoup d’égo chez pas mal de commentateurs qui refusent de changer d’avis à mesure que les données s’accumulent. A ce stade, plus les données vont être claires, moins ils seront capables de faire marche arrière. Une sorte de « sunk cost fallacy » appliqué à leur démarche intellectuelle. On a quand même tout un tas de gens qui passent leur temps à sortir le slogan « corrélation n’est pas causalité », à nous expliquer que la science s’auto-corrige, à dénoncer le cherry-picking…etc..Et soudainement tous ces bons principes (sans ironie) ne s’appliquent plus pour le COVID
L’analyse coût/bénéfice est intéressante mais elle a selon moins peu d’intérêt si le but est de convaincre les gens que les confinements sont une mauvaise solution. Les gens n’ont pas de mal à comprendre le principe d’une telle balance pour des choses trés ancrées. Par exemple, ça ne viendrait à l’idée à personne de limiter la vitesse sur les routes à 10km/heure afin de sauver les 3000 personnes qui meurent sur les routes par an. Mais pour un évènement comme celui là, le calcul rationnel est plus difficile à faire accepter. Et c’est compréhensible vu la déferlante de news angoissantes que les gens reçoivent chaque jour, depuis 1 an. Bien sur, je suis totalement d’accord que le gouvernement doit absolument faire ce calcul, ou du moins essayer de le faire. Mais lorsqu’il s’agit de convaincre les gens que le confinement est une mauvaise solution, je pense que le fait qu’une épidémie peut regresser en son absence est un argument beaucoup plus fort pour le grand public.
En tout cas, cet article valait la peine d’être écris. Merci pour le temps que tu y as consacré
Merci pour le commentaire.
Pourrais-tu me dire sur quelle machine et navigateur tu étais quand tu as essayé de faire un don ? Ça m’aiderait à essayer de comprendre le problème.
Pour le reste, je suis tout à fait d’accord avec ton diagnostic, notamment sur le type de « sunk cost fallacy » dans lequel beaucoup de gens sont tombés. Et je suis aussi complètement d’accord avec l’ironie qu’il y a à voir des gens qui passent leur temps à répéter le slogan « corrélation n’est pas causalité », même quand c’est idiot, ignorer soudainement ce principe aujourd’hui, mais pour le coup ça ne m’étonne pas du tout.
Tu as probablement raison que l’analyse coût-avantage ne convaincra sans doute pas grand monde, car les gens ne sont pas habitués à penser comme ça dans ce contexte, même s’ils le font implicitement tout le temps d’habitude, mais si ce billet pouvait arriver jusqu’à des gens qui ont une influence sur la prise de décision, ce qui vu les gens qui me suivent n’est pas du tout impossible, je pense que ça vaut quand même le coup de se livrer à cet exercice même si la probabilité que ça ait un impact est infime.
Google Chrome 88.0.4324.96 sous ArchLinux. Mais je viens de réessayer là et c’est passé 🙂
Super, merci ! Juste pour m’assurer que j’ai bien compris : quand tu as réessayé, tu étais bien sur la même config ?
Oui je n’ai pas changé de config entre temps.
A mon avis lorsque ça n’a pas marché, il y a eu une erreur JS runtime qui fait que l’event click sur le form ne réagissait plus. J’avais accenditellement submit le form non rempli juste avant et doit y avoir un bug de ce côté là
« ce billet pouvait arriver jusqu’à des gens qui ont une influence sur la prise de décision »
Publier (éventuellement résumé) dans la presse générale (anglophone ou francophone) lue par des influents ?
– on (y compris ce billet) parle beaucoup des décès immédiats attribués (potentiellement à tort) à la maladie, qui a aussi d’autres effets: handicap plus ou moins graves et plus ou moins longs, probablement des réductions de l’espérance de vie: a-t-on un moyen d’estimer un score global de nuisance de la maladie (par exemple, en termes de réduction de l’espérance de vie ou de l’espérance de vie en bonne santé, ou de taux de handicap), qui permettrait d’estimer plus justement ses effets que les stats de décès ? (je suppose qu’on peut l’approximer avec le taux d’hospitalisation ou d’hospitalisation en réa, traitements probablement corrélés aux séquelles à long terme)
– « modifier suffisamment leurs comportements »: a-t-on une idée des modifications effectives de comportement, au-delà d’anecdotes sur des rassemblements légaux ou non ? Et de l’utilité de ces modifications ? (par exemple, peu d’intérêt de se laver les mains si on partage un logement avec plusieurs personnes dont certaines prennent des métros bondés et travaillent dans des open-space riquiqui)
Très intéressant comme les précédents articles. Sinon je me demande s’il n’y a pas une petite erreur dans votre ammendum:
> Je voulais préciser quelque chose d’important pour vous aider à faire votre propre analyse coût-avantage. > Il est crucial de comprendre que, quand on cherche à estimer l’effet des restrictions sur le bien-être des
> gens en leur demandant combien de jours en moyenne ils seraient prêts à sacrifier au cours des 6
> prochains mois pour ne pas être confinés, qu’il n’y ait pas de couvre-feu, que les bars et les restaurants
> puissent rouvrir dès à présent au moins une partie de la journée, etc., il faut bien préciser qu’ils doivent
> imaginer qu’il n’y a pas de pandémie et que leur réponse n’aura aucune influence sur le nombre de gens > qui mourront. En effet, si on ne précise pas ça en leur posant la question, ils vont intégrer ce qu’ils
> pensent être l’impact de leur décision dans leur réponse, alors que nous leur posons justement cette
> question pour estimer l’impact que les restrictions supplémentaires induites par la politique du
> gouvernement ont sur leur bien-être indépendamment des bénéfices attendus de cette politique par
> rapport à une politique moins restrictive.
Je comprend le problème que vous mentionnez: si on pose la question « dans l’état actuel des choses, combien de jours de vie seriez-vous prêts à perdre pour qu’il n’y aie plus de confinement » à un pro-confinement, il va forcément répondre qu’il échangerait 0 jours puisqu’il veut que les autres soient confinés, même si le confinement diminue son bien-être.
Cela dit, l’impact du confinement sur le bien-être est plus élévé en l’absence de pandémie, et donc votre ammendum conduirait à surévaluer les coûts des restrictions (ce qui est contraire à votre démarche de « même on prenant des chiffres dans le sens des pro-confinements, on arrive à un truc absurde »). En effet: comme vous le dites plus tôt, si on pense que le confinement n’a que peu d’effet sur la transmission, c’est en partie parce que les gens font déjà attention. Est-ce qu’il ne faut donc pas plutôt comparer l’impact du confinement sur la mortalité sous l’hypothèse que les gens font déjà gaffe (et dans ce cas 75000 morts en moins est probablement une bonne borne sup), et l’impact du confinement sur le bien-être des gens, encore sous la même hypothèse que les gens font déjà gaffe ?
« Combien de jours seriez-vous prêts à perdre en échange de la disparition des restrictions pour vous uniquement, dans l’état actuel des choses » ne marche pas non plus, parce qu’être déconfiné tout seul ca sert pas à grand chose. Pas évident de trouver une question qui marche en fait. Mais si vous trouvez, un sondage de ce type serait intéressant.
Oui, c’est une excellent remarque, vous avez raison : comme les gens réduisent volontairement leurs interactions sociales même en l’absence de restrictions légales, le gain de bien-être lié à la levée de ces restrictions serait moins important que dans une situation normale, car les gens pourraient moins profiter de leur liberté. En revanche, je ne suis pas d’accord sur votre dernier paragraphe, car évidemment je pense qu’il faut que la question dise clairement que tout le monde serait déconfiné. Le problème quand on pose la question comme ça, c’est que les gens prennent en compte l’effet en termes de mortalité et du coup leur réponse sous-estime le gain de bien-être. Donc effectivement c’est un problème compliqué, il n’est pas évident de poser la question d’une façon qui ne biaise pas la réponse d’un côté ou de l’autre, il faudrait que je réfléchisse à comment on pourrait s’y prendre. Mais je n’ai aucun doute sur le fait que, quoi qu’on fasse, ça ne changera pas la conclusion de l’analyse coût-avantage, parce qu’il y a une marge très importante même si on fait l’hypothèse ridicule que le confinement sauverait 75 000 vies et que le nombre moyen d’années de vie perdues est de 10 ans par décès. C’est anecdotique mais, quand j’ai demandé à mes amis, leur réponse impliquait toujours une perte de bien-être supérieure aux 5% que j’ai utilisé pour mon calcul et pourtant à l’époque je n’avais pas pensé au problème que je soulève dans mon addendum, donc j’avais posé la question sans préciser qu’il devait imaginer qu’il n’y avait pas de pandémie.
Article très intéressant qui effectivement ne fait que confirmer ce que toute personne ayant un minimum étudié les chiffres et courbes publiées ici et là devrait conclure.
Merci d’avoir pris le temps de l’écrire. Je vais le partager sur les réseaux sociaux.
J’avoue avoir un peu de mal avec un article qui attaque bille en tête « Il est désormais clair que le gouvernement a décidé de nous confiner pour la troisième fois en moins d’un an ».
J’arrive peut-être un peu après la bataille, puisque le confinement n’a pas été déclaré, du moins pour l’instant (ce qui change un peu la donne, et mon interprétation de la chose), mais je trouve ce billet fort intéressant et convaincant, même si personnellement je n’avais pas besoin d’être convaincu. Je me pose juste une question au sujet de votre commentaire où vous dites « si ce billet pouvait arriver jusqu’à des gens qui ont une influence sur la prise de décision », etc. Je me demande: et si le gouvernement et le président étaient déjà, aujourd’hui, parfaitement conscients de tout ce que vous dites, et ils avaient eux-mêmes fait des calculs de coûts et bénéfices de ce type? Qu’est-ce qu’il serait leur comportement? Autrement dit, que verrions-nous de l’extérieur? Mon hypothèse est que nous verrions exactement ce que nous sommes en train de voir. D’une part, comme vous le dites, le poids de l’opinion et des médias est très fort, et il s’est créé, notamment, une espèce de « mythe fondateur » du premier confinement, qui ‘semble’ avoir marché, et qui de plus a été vécu de manière peut-être traumatique mais aussi avec un certain enthousiasme, ou du moins un sentiment de cohésion qui a aujourd’hui disparu. Deuxièmement, il serait de toute façon très difficile, voire impossible, pour le gouvernement (et pour nombre d »experts’ qui ont défendu mordicus le confinement) d’admettre que a) ils se sont fondamentalement trompés et des mesures si difficiles à vivre pour tous et si lourdes de conséquences ne servaient quasiment à rien et b) qu’ils ne peuvent infléchir le cours de la pandémie que très marginalement (ce que je crois fortement). D’un certain point de vue, le gouvernement est ‘obligé’ de faire quelque chose: on vit dans une société dans laquelle il est inconcevable de ne pas pouvoir gouverner la nature et l’idée de la mort est scandaleuse (ce qui est bien résumé par la formule « la vie n’a pas de prix »). Paradoxalement, la mesure la plus énorme est aussi la plus facile à mettre en place, parce qu’elle crée une espèce de sentiment « s’ils en arrivent là, c’est qu’ils n’ont pas le choix, et c’est impossible que ça ne marche pas ». Tout cela dit, je veux être optimiste, peut-être que les derniers événements (le non-confinement de vendredi dernier) sont un premier timide signal du fait qu’on a compris au gouvernement qu’il faut trouver rapidement une exit strategy honorable à la spirale infernale des confinements à répétition.
https://journals.aps.org/prx/abstract/10.1103/PhysRevX.10.041055
Bonjour, je peux vous envoyer par email une image de l’évolution du Rt en Suisse au cours du temps. Vous avez raison : le confinement n’influe absolument pas sur le taux de reproduction du virus en Suisse